La Philosophie à Paris

PRISONS / Le petit goulag du capitalisme

13 Février 2009, 10:00am

Publié par Anthony

En analysant les ordres signés le 22 janvier par le président américain Barack Obama, on peut voir que les Etats-Unis vont continuer à être fortement impliqués dans des pratiques illégales telles le kidnapping, la détention secrète et la torture. Ces ordres mettaient apparemment fin à la torture et à un réseau de camps de prisonniers de la Central Intelligence Agency (CIA).

Le Los Angeles Times a cependant publié un article sur ces ordres qui montre qu’ils vont encore permettre le recours à la « restitution extraordinaire » par la CIA. Par cette pratique, les Etats-Unis kidnappent des individus qui sont prétendument des terroristes et les envoient dans des pays qui pratiquent la torture.

Obama n’envisage pas seulement de conserver ce type de restitution, mais il prévoit l’utiliser encore plus que l’administration Bush. Le Los Angeles Times a cité anonymement des officiels du renseignement américain qui affirment que, « Le programme de restitution pourrait être sur le point de jouer un rôle plus important dans l’avenir car c’est le principal mécanisme qui existe encore, à part les frappes de missiles Predator, permettant de retirer de présumés terroristes de la circulation. »

Le journal cita aussi anonymement un officiel de l’administration Obama défendant la restitution extraordinaire. « Certains outils doivent évidemment être maintenus : on doit pouvoir encore s’en prendre aux terroristes », a-t-il déclaré. « Les conseillers juridiques qui travaillent là-dessus ont considéré la restitution extraordinaire. C’est un sujet controversé dans certains milieux et ça a provoqué toute une réaction en Europe, mais si certaines conditions sont respectées, c’est une pratique acceptable. »

Ces révélations soulignent le véritable contenu des ordres signés par Obama lors de ses premiers jours à la présidence, qui ont été présentés en grandes pompes par les médias comme la répudiation de la politique étrangère de l’administration Bush. En fait, ces ordres laissent intacts le cadre légal et les pratiques criminelles justifiés par « la guerre contre le terrorisme ».

La restitution extraordinaire est l’une des pratiques les plus infâmes de l’impérialisme américain. Parce que les Etats-Unis insistent qu’ils n’ont pas à dévoiler les noms de ceux qui ont été enlevés, il est difficile de connaître le nombre de cas de restitution. Ce nombre se situe probablement dans les milliers. Une enquête menée par le Parlement européen a déterminé que la CIA avait procédé à 1245 vols dans l’espace aérien européen ou fait des escales à des aéroports européens entre 2001 et 2005.

La restitution est clairement illégale sous la loi internationale et américaine ainsi que selon les lois des pays où celui qui a été enlevé se trouvait. Les victimes de restitutions extraordinaires n’ont aucun moyen de protester leur enlèvement ou même de connaître les accusations ou les preuves contre eux. Il y a eu plusieurs cas documentés où l’identité de la personne s’est avérée ne pas être la bonne. De plus, on sait que ceux qui sont enlevés ont été envoyés dans des pays où ils ont été torturés, tels l’Afghanistan, la Syrie, la Jordanie, l’Égypte et le Maroc.

Dans un des cas, un citoyen allemand, Khaled Masri, fut capturé en Macédoine en 2003 et remis à la CIA. Masri a décrit son supplice en 2007 : « J’ai été remis à la CIA et j’ai ensuite été déshabillé, battu sauvagement, enchaîné, on m’a mis une couche, on m’a drogué, enchaîné au plancher d’un avion et envoyé en Afghanistan où j’ai été emprisonné dans une cellule épouvantable pendant plus de quatre mois. » Le compte rendu de Masri de son enlèvement concorde avec les autres témoignages de ceux qui ont réussi à sortir des goulags de la CIA.

En 2002, un citoyen canadien, Maher Arar, a été arrêté à l’aéroport JFK de New York. Selon le site web d’Arar (www.maherarar.ca), « Douze jours plus tard, il fut enchaîné et envoyé par avion jusqu’en Syrie, où il fut détenu dans une étroite cellule qui ressemblait à une « tombe » pendant dix mois et dix jours avant d’être déplacé vers une meilleure cellule dans une prison différente. En Syrie, il fut battu, torturé et on le força à faire de fausses confessions. » Une commission d’enquête canadienne a ultimement déterminé qu’Arar avait été arrêté à tort.

Dans un autre cas tristement célèbre, un ecclésiastique égyptien résidant en Italie, Abou Omar, fut enlevé et envoyé dans son pays natal où il fut torturé. Les agents de la CIA qui ont réalisé l’opération sont poursuivis au criminel en Italie, mais ils ont fui le pays pour éviter les poursuites judiciaires.

Pendant ce temps, l’ordre d’Obama, qui ferme prétendument le réseau de prisons secrètes de la CIA, permet une exception pour « les établissements qui servent uniquement à détenir les individus à court terme, sur une base transitoire ». L’expression « court terme » n’est pas définie.

Cette clause permettra au système de prison secrète de la CIA de fonctionner plus ou moins comme elle le faisait sous l’administration Bush. Alors que sous cette administration, les prisonniers pouvaient être détenus indéfiniment dans les trous noirs de la CIA, dans de nombreux cas les prisons de la CIA (plusieurs d’entre elles étaient situées en Europe de l’Est) servaient de stations transitoires pour les prisonniers qui devaient être envoyés à des régimes où les détenus étaient soumis à la torture.

Obama n’a pas remis en question la prétention de l’administration Bush, justifiée de façon pseudo-légale, que le président peut déclarer tout individu (citoyen américain ou non) comme étant un « combattant ennemi », le faire arrêter secrètement et l’emprisonner indéfiniment, tout cela sans même qu’un juge puisse réviser les décisions. Obama n’a pas non plus abrogé le système de tribunaux militaires irréguliers pour juger ceux que les Etats-Unis attrapent dans leurs filets.

En ce qui a trait à l’usage de la torture par l’armée américaine et la CIA, Obama s’est gardé une bonne marge de manœuvre. Alors qu’un ordre affirme de mettre fin au genre d’interrogatoire qui ne sont pas autorisés par le manuel des règles de l’armée, Obama  a proposé que soit créé un comité qui étudiera les façons de changer le manuel pour permettre de nouvelles façons de mener les interrogatoires.

Même l’ordre largement acclamé de fermer la prison de Guantanamo n’a rien changé dans les faits. Les prisonniers actuels de Guantanamo, tout comme les futurs « prisonniers », pourront être le sujet d’une restitution extraordinaire sur un simple ordre du bureau exécutif.

De plus, Obama a donné l’assurance que son administration ne va pas enquêter ou poursuivre les hauts responsables, y compris des membres de l’administration Bush comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Alberto Gonzales, qui portent la responsabilité des politiques de torture et de détention illégale.

L’administration Obama demande à un juge d’une cour fédérale de San Francisco de mettre fin aux procédures contre l’ancien responsable du ministère de la Justice, John Yoo, qui a écrit les célèbres mémos justifiant la torture pour l’administration Bush. La cause a été amenée par José Padilla, ce citoyen américain qui a été détenu sur un navire de la marine américaine et torturé pendant des années. Le département de la Justice cherche aussi à mettre un terme à une autre cause liée à Padilla dans laquelle sont impliqués l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, l’ancien adjoint au secrétaire à la Défense, Paul Wolfowitz et l’ancien procureur général, John Ashcroft.

Tant que la « guerre contre le terrorisme » continuera (et Obama a promis  que ce sera le cas), tous les gestes illégaux qui y sont liés vont eux aussi continuer. La guerre contre le terrorisme est en fait un euphémisme pour l’intensification par Washington de la violence à l’étranger et pour les attaques contre les droits démocratiques aux Etats-Unis mêmes, mesures implémentées pour défendre les intérêts du capitalisme américain.

Le fait qu’Obama défende et préserve les éléments criminels de la guerre contre le terrorisme, bien que présentés sous une forme différente, ne doit surprendre personne. La torture, la restitution extraordinaire, les tribunaux militaires, les prisons secrètes, tout cela fait en réalité l’objet d’un consensus au sein de l’élite dirigeante américaine, défendue par le Parti démocrate tout autant que le Parti républicain.  L’information sur ces mesures a été donnée aux dirigeants démocrates au Congrès, qui les ont approuvées, sous l’administration Bush. Les démocrates n’ont rien fait pour changer ces politiques après leur victoire écrasante lors des élections au Congrès en 2006 et ils ne feront rien cette fois encore.


Article original en anglais, WSWS, paru le 3 février 2009.

© WSWS.

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