La Philosophie à Paris

523. Du principe de raison ou de l’excuse pour la moindre action.

15 Février 2013, 16:19pm

Publié par Anthony Le Cazals

La philosophie — en tant que science et jugement portés sur l’existence — repose sur le principe de raison suffisante pour lequel rien n’est sans raison. C’est l’autre nom de la prétendue « loi de causalité » pour Schopenhauer. Dans la limitation ainsi fixée,  Schopenhauer insiste sur : « L’importance du principe de raison suffisante [qui] est si grande que l’on peut l’appeler l’assise de toute science. Science veut dire, en effet, système de connaissance… » SchQR_24. Mais déjà Platon affirmait : il est nécessaire que tout ce qui naît, naisse par l’action d’une cause ; comment naîtrait-il autrement Philèbe26e ? Ou encore dans le Timée tout ce qui naît, naît nécessairement par l’action d’une cause, car il est impossible que quoi que ce soit puisse naître sans cause Timée, 28a.  La science classique, quant à elle, repose sur le principe de moindre action avant même de partir du principe d’inertie. Ce dernier n’est que le pendant de la loi de causalité pour laquelle toute action entraîne une réaction. Ainsi est donné le cadre de toutes les expériences faites in vitro ou à l’abri de la « loi morale ». Mais alors le in vivo est  une autre affaire, trop à vif pour être cadré. Si selon la science la « Nature » minimise l’action, alors la raison ou la moindre action n’a fait que guider la décadence de la pensée. Ceci a commencé à partir du double coup d’arrêt fait à l’hellénisme par les penseurs éléates puis par les philosophes athéniens. Si les premiers de ces Grecs ont sans doute fortifié la pensée pour la simple raison que ce qui ne tue pas rend plus fort, les seconds sous couvert de moralité, ont par leur jugement sur la cité, accaparé les jeunes esprits vers la moindre action : contempler plutôt que faire. Pour les Eléates, l’extase de l’être immobile — Parménide et son poème — leur permet de poser qu’il y a un être infini du mouvement, stoppant net le mouvement — Zénon et son prétendu paradoxe. Chez les Athéniens, Socrate déboule sur l’agora : toute action a dès lors une raison morale et cette raison, comme intelligence et comme moyen de progrès moral devient le déraisonnable dans les passions, le mal-être comme manquement à l'utilité. Platon dit non ! C'est l'amour du bien qui apporte le progrès  moral ; mais l'intelligence est nécessaire à la saisie du bien. C’en est alors fini de l’hellénisme, car le désir de science vient se substituer à celui de sagesse. Le désir de connaissance plus que d’une vie immorale. De la recherche des causes, de l’Epistémè — la « science » en grec — naît la décadence de la pensée grecque qui se coupe de sa source, qui est non une quelconque cause mais la joute. C’est pourquoi le discours est tranchant et concis et non étendu comme les grands discours des enseignants. Car ce n’est pas la même chose de poser le principe de raison ou de moindre action et le principe du combat ou de la plus grande action. Croire que tout naît nécessairement de l’action d’une cause c’est manquer l’issue d’un combat. L’issue d’un combat est importante non pour l’une ou l’autre des parties combattantes qui s’y épuisent mais en ce qu’elle permet ou non à une nouvelle génération de s’affirmer sur un terrain fertile, car il y a encore une fois ce contact minimum avec l’idée comme peur du corps de l’adversaire et donc de ce qui est terrible. Certes il y a le vacarme de la ferraille, les piques des disputes voire dans les plus mauvais exemples les insultes qui fusent, les conséquences d’un combat ne sont jamais sur le « champ de bataille » mais dans le nouvel horizon qu’ouvre  son issue qui s’accompagne bien souvent d’un transfert d’énergie ou de richesse vers celui qui s’est précisément tenu à distance. On néglige souvent ce qui excède l’affinité viscérale des adversaires pour ne retenir que le fracas : que ce soit la fuite active ou le tiers qui n’épuise pas ses forces dans le combat, le combat permet à une nouvelle génération de proliférer. En philosophie, on pensera à Canguilhem, Desanti, Cavaillès ou Beckett qui en participant à la résistance à l’occupation puis à la vie intellectuelle après la libération avec aussi Sartre et Merleau-Ponty, ancrèrent en un bord la génération suivante connue sous le nom de style français ou French Touch. À l’opposé, ceux qui suivent Platon et Aristote préfèrent la connaissance distante au sein d’institutions — Académie, Lycée et même Portique — plutôt que l’épreuve de la vie. Ne pas s’immerger, ne pas se laisser embarquer. Se mettre à l’écart et s’agréger pour ne pas se corrompre avec une époque de déclin. On pourra toujours dire que l’on a placé la vie dans le formol, qu’on l’a mise en formes ou en idées parce qu’on sentait l’hellénisme décliner. On pourra même penser avoir mesuré la moralité des héritiers selon des critères moraux. Mais c’est surtout qu’en capturant dans ce formol de sciences et de morale les « grandes intelligences » on a inhibé l’action des jeunes corrompus. L’homme de connaissance qui a besoin d’une institution pour survivre n’est pas le sage qui admet plus frontalement l’épreuve de la vie plutôt que la promotion dans l’institution.

Commenter cet article