La Philosophie à Paris

911. Eurêka, ça a trouvé !

25 Février 2013, 15:57pm

Publié par Anthony Le Cazals

 

 

Voici le schéma de la pensée non réflexive en tête, de cette pensée « métaphysique » au Dehors de la métaphysique, de ce que l’on appelait la pensée « matérielle » chez Anaxagore. À dire matérielle, on poursuit l’aggravation « idéelle », pourtant elle n’est ni matérielle ni spirituelle, cette pensée non-réflexive indifférente aux déconstructions, aux démonstrations. Elle provient de transmutations non conscientes qui s’opèrent dans le cerveau. Ce n’est pas loin de la réminiscence des idées chez Platon mais celui-ci, d’une part, spiritualisait la pensée – tout en sachant que le foutu Bien n’est pas une Idée et, d’autre part, il réduisait la pensée à une réflexion sur les genres, une dialectique, à un dialogue de l’« âme » avec l’« âme ». Leibniz avait souligné en son temps la part non-consciente de la pensée. Schopenhauer avait surenchéri en disant qu’une majeure partie de l’acte de penser était non-consciente, ce que reprendra Wagner dans son Beethoven. L’erreur psychanalytique ou lacanienne est d’avoir hypostasié une hypothèse : l’inconscient freudien. Freud s’est longtemps refusé de nommer ainsi l’inconscient jusqu’à ce que vienne le couperet d’une communication  pour une conférence. J’insiste sur le terme de communication. C’est la même chose chez Platon et chez Freud. Le premier hypostasie un substrat inconscient « esprit » ou « être », ce qui lui permettra ensuite de poser le jeu dialectique et conscient de sa vengeance, de ses longs discours qui aboutiront aux prescriptions criminelles finales. Par opportunisme, et toujours pour démontrer cette manière de penser, j’ajoute cet extrait lu sur les transmutations « cet être que Platon a introduit en tiers de tous les couples d’opposés : comme sujet, substrat, support ». Simplement Platon nommait être ce que Freud appelait inconscient. Nommer l’innommable ou l’intraitable, tout ce que l’on traite et traduit de manière interminable. Pas exactement, il s’agit davantage de voir le fond d’affectivité propre à toute volonté de puissance. Descartes fera de même basant le rationalisme sur ce qu'il y a de plus irrationnel : le rêve. Il est difficile de ne pas penser la nuit et surtout à la nuit des 3 rêves de Descartes BaiVD 971, puisque c'est de là que s'est bâtie sa charpente, la vision d'un arbre de la connaissance. Difficile ensuite de faire du cartésianisme, un rationalisme, sauf à confondre la loi de causalité qui mêle cause et effet avec le principe de raison suffisante dont les conséquences touchent aux connaissances et non aux existences. Ceci n’est plus possible après Kant et Schopenhauer, même s’il n’ont pas vu que c’était la volonté qu’ils mettaient à bas. Mais ce sont les Asperger 419, ces autistes de haut vol qui nous font comprendre que, d’une part, toute notre mémoire était contenue dans notre cerveau (Tom Peek) et que, d’autre part, la pensée ou le résultat d’un calcul peut se présenter à la « conscience » sous la forme de flashs colorés, c’est-à-dire qu’ils proviennent d’« actes » non-conscients dans le cerveau (Daniel Tammet TamJB). On voit déjà que notre hippocampe fait de la rétention de mémoire pour nous maintenir dans l‘action — comme le suggérait déjà Bergson avec le cône de la prétendue conscience BgMM — et qu’en tant que siège de notre mémoire affective et épisodique, il restreint l’accès à toute notre mémoire. Ceci peut expliquer que l’« acte » de penser soit une transmutation non-consciente du cerveau qui se double d’un travail, conscient cette fois, de notation. Cette inspiration peut se situer au petit matin après un moment de sommeil paradoxal, elle est la mise en clin d’une affectivité primordiale que nous avons évoquée à maints endroits. On peut l’obtenir après une sieste, mais cette reconfiguration apparaît davantage qu’avec une méditation réflexive qui cherche avant tout sa propre reconduction. Précision, le clin est le mouvement dans le français de Montaigne, on pensera au clinamen d'Epicure ou encore à ce qui constitue l'arrêt progressif, le déclin.

 

Note bibliographique sur la sieste. — Les pouvoirs de la sieste, sur www.radio-canada.ca, 23 avril 2010 renvoie à Erin J. Wamsley, Matthew Tucker, Jessica D. Payne, Joseph A. Benavides, Robert Stickgold, Dreaming of a Learning Task Is Associated with Enhanced Sleep-Dependent Memory Consolidation, Current Biology, 20(9) pp. 850 - 855, 11 May 2010. Voir aussi Erin J. Wamsley, Robert Stickgold Dreaming and offline memory processing, Current Biology 20(23) pp. R1010 - R1013, 7 December 2010.

 

Le recoupement des souvenirs s’opère par des connexions — que je qualifierais difficilement de synaptiques — qui contrarient la mémoire traumatique ou épisodique et lient des éléments épars de ma mémoire. C’est là la sagacité (la phronesis) ou l’engin (l’ingegno, l’ingenium), auquel on a donné parfois en toute signifiance d’autres noms. C’est ce que croyait Bergson : l’Esprit-Vérité ou Mémoire absolue en tant qu’image-souvenir ne pouvait être contenu dans le cerveau. Pourtant ce texte parlera à tous ceux qui manipulent cette pensée à la fois personnelle et impersonnelle qui ne professe pas mais part de situations, d’observations, de choses implicitement tues, le discours « intérieur » (logos endiathetos). Notre mémoire épisodique ou traumatique ne nous laisse entrevoir qu’une partie de notre mémoire imagée et sémantique et fait office d’entrave pour nous attacher à la supposée action morale. Preuve s’il en est que les supposés « plans de conscience » chez Bergson ou chez Sri Aurobindo ne sont que les différents niveaux d’intensité ou de concentration en interaction avec cette mémoire-censure. L’une des multiples particularités de Tom Peek, notre premier Asperger, plus connu sous le nom cinématographique de Rain Man, est de n’avoir pas d’hippocampe c’est-à-dire de « Surmoi » de la mémoire et d’être alors capable de se remémorer dans l’instant même, ou successivement, chacune des pages des 10 000 ouvrages qu’il a lus comme s’il les avait imprimés dans son cortex — lieu de la mémoire sémantique ou imagée. Après qu’on ait suggéré que l’orgueil moderne de la conscience est l’amour propre du philosophe réflexif qui le fait s’illusionner au sein d’un monde, il faut bien comprendre que les pensées surviennent par sérendipidité*, dans un enchaînement non déterminé et ce d’autant plus que l’on a un fonctionnement propre à l’hémisphère droit c’est-à-dire convergent et non pas cohérent ou linéaire. Les spiritualistes voudront replacer là la survenance de l’esprit sans avoir rien compris à l’esprit qui n’est plus l’engin ni comme ils le pensent un outil d’émancipation « cognitive », mais un outil de domination. Cet « événement » s’est souvent produit au petit matin, au réveil, il s’est  étalé sur plusieurs années, accompagné d'une baisse de vision de moitié d’un œil. Ce fut comme si les maux de tête et l’incapacité à avoir une vie sociale soutenue — indisposition pour la conversation courante par un mauvais réglage oculaire — avaient introduit une transmutation de l’attention et l'impossibilité d'être réactif sur le moment. Ce fut alors l'invention d'une manière biaisée de s'exprimer différente de la mondanité dialectique puisque les recoupements s'opèrent à contretemps. Plus que d'événement, je parlerais de transmutation endurante, de révolution discrète puisqu'elle n'engage qu'un seul individu, mais en affecte d'autres par lente contagion. Encore une fois, ce n’est pas de la volonté que proviennent les pensées. Hobbes,  Spinoza, Voltaire, Kant, Schopenhauer, Bergson ont bien perçu l’absence de liberté de la volonté. C’est bien pour cela que Sartre n’a rien produit en philosophie sinon comme comédien et comme satire, car, en cartésien, la liberté était pour lui un travail conscient sur la situation insatisfaisante alors que cette « liberté », cette « libre-pensée » consiste précisément à ne pas avoir honte de ses propres pensées. Elles sont issues par mon biais du recoupement de textes et d’ « expériences » apparemment divergentes pour la raison logique et réflexive toujours objectivante et dépréciative et pour la spécialisation dispersive comme l’appelait Auguste Comte. Que l’on parle de pensée rationnelle, qu’importe, tant d’une part, la raison (suffisante) comme principe de connaissance et la cause comme loi d’existence et de destruction sont séparées. Cette séparation entre la raison et la cause, Kant l’opère et Schopenhauer la relève mais ils ne portent pas une telle critique jusqu’à ses extrêmes conséquences. Dès lors, la volonté apparaît comme ce qui se délite. Schopenhauer pose encore la volonté comme Une avant d’ajouter qu’elle se nie, ouvrant ainsi la période nihiliste. Nietzsche va au-delà, la volonté ne se tournant plus vers un prétendu néant de volonté mais vers la puissance, la capacité, l’autonomie qui s’exercent. Les pensées, dès lors, arrivent dans leur aspect généreux et innocent aux pattes des colombes NzAZ, sans les paroles proférées et tapageuses du cogito binaire et de la synthèse dialectique ternaire, elles mènent le « monde ». Sans honte dire que ce n’est pas la raison qui suscite la pensée, mais bien ce qui demeure impensé par la raison, tant elle « réfléchit » sa propre symbolique et devient ainsi un frein à une pensée plus métabolique, une pensée qui tient compte des changements de tempos et de régimes. Ce n’est plus la pensée du commun (koinos) mais celle du sage (sophos), pensée qui vient de l’intime et qui reprend ce qui se donne dans l’intime pour s’affirmer petit à petit plutôt que de s’imposer négativement par un forçage, discours intérieur (logos endiathetos) plutôt que discours qui professe son déni à l’extérieur (logos prophoricos). Telle est la pensée libérée de Dieu qui dans ses formes transcendantes et immanentes conduit à une hémiplégie de la vertu 135, une intériorisation sous la forme de la (mauvaise) conscience. Comprenez par Dieu, le substrat spirituel de l’être qui tend à fabriquer en dernier ressort des corps errants dans l’immanence. Ce n’est pas la volonté d’un sujet qui pense, mais la Terre comme impensé de l’homme qui nous pousse à la penser … à la pensée. Penser au Dehors se fait alors en quatre étapes : 


a.      Transmutation et plasticité cérébrales qui connectent entre eux percepts et affects dans un nouveau frayage. Cela peut être du texte ruminé, des images marquantes d’expériences propres ou tierces, bref du vécu non de l’idée). Intensité ou Concentration.


b.      Notation ou écriture de ce que Nietzsche nommait le reste de ses plus belles pensées, dont une part échappe toujours à la notation. Nul n’échappe à cela heureusement et c’est là que se joue la « quête de vérité », la tentative désespérée de vouloir tout rappeler, le vain forçage. Rigueur.


c.       Vient alors le jeu à nouveau joué de ce qui s’est composé dans nos têtes lors d’états de semi-éveil ou de douces déraisons matinales comme à présent. Ce jeu de souvenirs peut se précipiter de manière plus turbulente ou dans l’intensité d’une excitation exquise. Je n’ose dire divine tant elle est parcourue d’enthousiasme (Logique démonique ou Enchaînement). Fulgurance d’avoir fait tournoyer des éléments auparavant épars et qui s’agencent sous un mode de penser inaperçu, souvent répétitif et imbitable aux yeux des personnes réfléchies. Mais passons. À chacun ses recettes, ses automatismes de mise en place du discours. Chez moi, à la manière de Nietzsche parlant de son flair ou de son nez, cela excite d’autres parties du cerveau. Chaque fulgurance s’accompagne de turgescences labiales comprenez de picotements aux lèvres qui sont les mêmes que lors d’affects de désir... Cela n’est pas une condition sine qua non de la pensée mais la preuve que le sommeil paradoxal a joué peu avant, et que donc quelque chose s’est reconfiguré dans le cerveau. Toute activité plutôt que de polluer ou corrompre, reconfigure et fait place nette. La conscience réflexive moderne a perpétué l’illusion de la liberté de la volonté. Mais vous remarquerez que, à raison, je ne parle jamais de corps tant l’on sépare l’« esprit » et le « corps » pour y glisser un mépris pour les douleurs du « corps », mépris qui est un déficit nerveux et une somatisation de l’esprit de vengeance que l’on nous ressert sous une forme morale et pudibonde. La distinction du « corps »  et de l’« esprit » est là pour nous faire avaler ce crime de lèse-pensée qu’est l’esprit platonicien puis chrétien, alors que la pensée travaille en sens inverse non celui du ciel mais celui de la Terre. Est-ce un drame si ceux qui se sont fait passer jusqu’à présent pour des philosophes et pour des penseurs de la longue tradition ont été des types décadents ? J’ai omis une partie de la troisième étape, ce qui la corrobore quelque part : comment palier aux insuffisances de la mémoire courte qui nous destine moralement à l’action. L’image de la mémoire compte dans la retranscription des fulgurances ou pensées par la prétendue conscience qui ne fonctionne que sur le mode de la communication sans importance. Au passage, vous aurez remarqué que j’ai évacué la notion toute imprégnée de moralité grégaire qu’est la vérité formulante, pour ne retenir que les deux précédentes. La conscience ne sert qu’à raisonner l’audace, à lui trouver les termes de l’époque ou de la langue, pour pouvoir être communiquée ou archivée. Ainsi, pour aider cette mémoire courte qui nous sert à tous au quotidien, j’utilise l’informatique comme archivage extérieur. Ceci permet des recoupements dans l’archivage beaucoup plus aisés que la recomposition de l’œuvre chez Proust et chez Céline qui utilisaient des bandelettes de papier tenues ou non par des pinces à linge. Ça pince moins les méninges ! La technique de l’indexicalisation* MatQI_90 rend aisé de retrouver ses petits alors qu’il était autrefois difficile de tomber sur la « bonne » page, sur le souvenir « utile ». Il fallait une madeleine, un enthousiasme frénétique pour tenir la concentration. L'informatique et plus encore Internet permettent une recomposition plus aisée de la pensée. Ce ne sont pas simplement des changements de modes, mais aussi de codes où des langages apparaissent de plus en plus détachés de ceux qui les énoncent comme des matériaux, comme des indications qu'une énergie s'est là concrétisée. « Fortune » et « coups de chance ». Ceci déleste d’une part du travail de « composition » et permet de donner les fulgurances au plus près de la « concentration », de l’intensité qui les a permises. Sans l’informatique, poser mes pensées aurait été presque impossible ou se serait fait dans un autre style. Sans l’informatique, cela aurait relevé du dépli insurmontable tant les forces dissuasives et réflexives sont prégnantes et s’interposent. La culture de basse intensité du « sujet » ne permet pas par ses binarités redondantes de comprendre « la complexité du monde », bref ce qui vous arrive avec d’autant plus d’imprévu et d’inattendu que vous prenez des risques. 


d.      J’en arrive à la dernière et quatrième étape, omise plus haut, qui dans l’ordre des conséquences est antérieure ou préparatoire même si toute configuration de pensée est bien plus complexe. Et là on doit remercier ce cher Tesla, esprit inventif hors norme : il avait déposé plus de sept cents brevets, il était allé contre le sens commun du courant continu d’Edison et il avait un sens aigu de la Terre puisqu’il disait pouvoir découvrir l’énergie libre que le champ magnétique terrestre fini produisait de manière illimitée. Cela allait contre la vision du « dernier homme 518c » propre aux banquiers qui souhaitaient pouvoir mettre un prix et reproduire ainsi l’économie de la rareté et de l’épuisement qui permet comme avec l’or ou le pétrole de fixer les prix plus à la hausse qu’à la baisse. Mais passons sur ce cher Tesla, on aura bien d’autres Archimède, d’autres Vinci géniaux. J’aurai pu retenir le démoniaque de Goethe, le mystique de Bergson, le ressenti et expérimenté éternel de Spinoza, le dionysiaque de Nietzsche, le sosie d’Einstein, le double de Foucault ou encore le Dedans qui archive et se laisse affecter par l’activité au Dehors et qui dépose la pensée sur la schize 215c propre à Deleuze et Guattari, mais je ne retiendrai que les remerciements que Tesla fait à son frère d’avoir disparu et de lui avoir ainsi causé un grand traumatisme. Ce traumatisme comme il le dit, dans ses Mémoires, lui a permis d’acquérir une sorte de vision synesthésique un peu comme les Asperger. Il n’avait plus nécessité pour inventer de faire des modèles ou des maquettes tant il avait tout dans sa tête. C’est la preuve que les traumatismes reconfigurent l’hippocampe et donc toute la manière dont se recoupent les images ou les souvenirs. C’est le traumatisme initial, le « noochoc* » dirait Deleuze qui permet une pensée non-réflexive. La « pensée » réflexive feint de s’appuyer sur un étonnement face au monde, une stupeur mais cela tient davantage de la bêtise, d’une crispation face à ce qui s’écoule, face à ceux qui, cherchant leur stabilité dans cette écoulement, mentent. Bref la pensée réflexive tient d’une rancœur mal digérée à l’endroit d’un narcissisme. Mais ce n’est pas ce qui active cette pensée en premier ressort. Combien de penseurs ou philosophes ont perdu un père jeune, la liste est longue : Kant, Schopenhauer, Nietzsche, Arendt… Si nous avons séparé, comme Kant et Schopenhauer, la raison de la cause — laquelle revient toujours à une substance, à un dieu en dernier ressort — les fulgurances peuvent advenir, le cerveau a été reconfiguré par des « intuitions ». Telles des pensées encore informulées, ces « intuitions » indiquent d’aller plus loin que la pensée dite « logique », mais avant tout réflexive qui cherche à vous persuader que c'est par arguments que l’on pense. C’est par arguments que l’on se justifie, que l’on attaque, dissuade, renverse alors même que ces « intuitions » obéissent à leur propre logique d’entrain et d’envie. Mais nous n’en sommes pas à cette joute ou cette agonistique.

 



Pour revenir sur la composition aisée de la pensée via l’informatique, notons que ce passage est la recomposition de plusieurs phrases dispersées autrefois dans cet ouvrage et qui acquièrent plus de force en étant rassemblées ici au lieu de tomber ici où là comme des membra disjecta, comme des cheveux sur la soupe. Effet de convergence et non de cohérence.

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