La Philosophie à Paris

CULTURE ORIENTALE / La voie martiale

26 Août 2008, 14:20pm

Publié par Anthony Le Cazals

Voici quelques extraits de paroles de Shigeru Uemura maître en karaté pratiquant l'art du I-Chuan.


La voie martiale, budo — « Budo signifie littéralement la voie martiale. Il est nécessaire de réfléchir à la pratique technique d'arts martiaux (bu) en rapport avec la notion de voie (do). C'est une conception moderne qui vise une formation globale de l'homme, intellectuelle et physique, à travers les disciplines traditionnelles de combat. Le budo est un terme général qui recouvre l'ensemble de ces disciplines. / Pour avancer dans la pratique du budo, chacun sait qu'il faut de la concentration, de la volonté, de la conviction, voire un esprit immuable... afin de pouvoir persévérer durant des années d'entraînement. / Pour les maîtres japonais, une des difficultés les plus importantes est la communication des techniques corporelles du budo liées aux aspects spirituels. Car, s'ils veulent vraiment être compris, ils sont obligés de relativiser un peu leur conception de la vie, ce qui les conduit à une certaine mise en cause de leur propre conception du monde. Ce n'est pas une chose facile. / La constance et la tension de l'effort demandé par le budo tendent à renforcer la vision de l'universalité de la valeur de la vie portée par la voie car avoir plusieurs visions peut conduire dans le «  mayoï » (la perte de direction à suivre). Le budo forge la force d'aller directement vers l'objectif, même parfois au détriment de la pensée critique. / La pensée de la voie apparaît spontanément lorsque la tension vers la formation de soi s'associe à la pratique de l'art martial, à la progression au cours du temps. Autrement dit, aussi longtemps que cette tension n'y apparaît pas, une pratique ne peut pas comporter la pensée de la voie et, par conséquent, elle ne se constitue pas en budo. » S. U. Uem*

 

L’affecivité orientale, le ki — « Qu'est-ce que cette sensation corporelle ? En japonais, elle est exprimée au moyen de la notion du « ki ». / Je pense que la sensation corporelle du « ki » est communément présente dans l'expérience humaine. Mais la forme d'interprétation de cette sensation varie selon la culture. Par exemple, le caractère logique est bien plus développé dans les langues occidentales que dans la langue japonaise. Mais il n'y a pas dans les langues occidentales, et c'est une difficulté majeure des traductions, de mot équivalent à « ki ». Ce terme couvre en japonais les sensations et les impressions mystérieuses, vagues, intangibles qui touchent quelque chose au fond de notre être, qui relève d'une acuité probablement archaïque ou refoulée. Cet ensemble d'impressions difficilement définissables par un mot est présent dans l'expérience quotidienne, la littérature et les arts japonais ; lorsqu'on doit la nommer, on dit le « ki ». / L'exclusion de ces sensations et impressions de la surface des vocables me semble corrélative du développement du caractère logique des langues occidentales. La pensée rationnelle s'est vraisemblablement développée en refoulant cette sensibilité. / …Dans la pratique de budo, existe [même] une autre forme de « ki » : le « ki » synchronisant. C'est à dire que les adeptes pratiquent, chacun anticipant l'énergie de l'autre. Tous deux s'exercent à se placer réciproquement, en quelque sorte, en situation d'émetteur et de récepteur de radio. » S. U.

 

Une pratique encore dualiste, le gyo — « Pour avancer dans la pratique du budo, chacun sait qu'il faut de la concentration, de la volonté, de la conviction, voire un esprit immuable... afin de pouvoir persévérer durant des années d'entraînement. / Dans la pratique de gyo, l'exercice consiste à aller du corps à l'esprit et aussitôt bascule de l'esprit au corps. La recherche permanente d'un équilibre des deux donne l'impression qu'ils sont confondus mais, si l'on y regarde de près, la dualité est sous-jacente et elle est à la base de tout le processus de gyo. Dans cette pratique parfois le corps domine mais, à une autre étape, c'est l'esprit qui dominera. Le rapport « corps - esprit » y est fluctuant mais l'objectif est d'atteindre un état où, si on règle le corps, l'esprit est réglé et, si on règle l'esprit, le corps est réglé. » S. U.

 

La pratique des trois poings ou comment faire ressentir le ki — « Le maître Wang Xian Zhai a effectivement livré plus de mille combats dans son existence, ce qui a contribué à lui valoir une grande notoriété et le surnom de «Main du Pays». De son vivant, il distinguait trois sortes de poings, c'est-à-dire trois types de situations. Par ailleurs, tout dépend de la nature du combat. A cette époque les experts n'avaient pas besoin d'aller au K.O. pour savoir qui avait gagné. Un peu comme au jeu d'échec. Il y a celui qui provoque la haine, dans une bagarre de rue, en blessant physiquement l'adversaire. Il y a celui, plus sophistiqué, que peut donner un pratiquant d'arts martiaux, lorsqu'il vise le corps énergétique de l'autre et génère, de ce fait, la peur. Enfin, il y a le troisième coup de poing qui vise à toucher la conscience, à faire fondre l'agressivité et l'orgueil de l'adversaire afin d'amener en lui un «éveil». Celui-là doit être celui de tout initié du Da Cheng Chuan. Il exprime l'amour et non la haine. En ce qui concerne la dimension du bien être et de la santé, le Da Cheng Chuan peut leur ouvrir de vastes horizons... » S. U. Uem*

 

Autre technique, le sabre qui immobilise — « …le sabre de Kamiizumi Hidétsuna. Vous avez peut-être vu le célèbre film d'Akira Kurosawa « Les sept samouraïs » ? Vous vous rappelez du vieux maître qui se fait raser le crâne pour sauver un enfant capturé par un brigand. Cette image est empruntée à une anecdote relative à Kamiizumi Hidétsuna. Dans ce film, le maître tue le brigand mais, selon la transmission d'Owari Yagyu, il ne tue pas. Le maître déguisé en moine donne les boulettes du riz au brigand affamé qui, pour les recevoir, ôte les mains de son sabre, le maître l'immobilise sans le tuer. Selon maître Yagyu, cet esprit est à la base de l'école de Hidétsuna. Il s'agit de créer, avant même le combat, une situation stratégique grâce à laquelle on peut dominer l'adversaire sans le tuer. On appelle cette pensée sur le sabre « katsunin ken », le sabre qui fait vivre l'homme. » S. U. Uem*

 

Les techniques d’esquive — « L'arrêt est un tabou en I-Chuan car c'est la mort dans un combat. En effet, l'arrêt produit de l'inertie et donc la nécessité de produire une force qui combat cette inertie. Si on arrive à bouger sans produire cette inertie, on évite d'avoir à la combattre, de perdre ainsi de l'énergie. Ce n'est qu'après avoir maîtrisé ce qui vient d'être dit que l'on apprend à déplacer l'axe du corps, indispensable pour acquérir le sens de l'esquive, dans le contexte d'un combat réel où l'adversaire est censé attaquer avec une arme blanche. » S. U. Uem*

 

L’évitement du combat — «  …je considère les arts martiaux comme la seule discipline capable d’opérer une rééducation générale de l’être, de nous ramener à une gestion plus instinctive, plus animale de nous-mêmes. Les animaux prennent rarement de risque, car la blessure, c’est la mort. Ils ont des mécanismes de politesse, fuient les combats difficiles. Ils cherchent naturellement ce qui est bon pour eux et esquivent le danger. Les hommes forts meurent facilement dans la rue d’un coup de couteau parce qu’ils n’auront pas su intégrer cette gestion instinctive : éviter le mauvais combat, éviter d’être touché. En karaté, j’aime bien considérer le coup, symboliquement, comme un coup de couteau. Cela aussi, c’est de la gestion énergétique, au niveau émotionnel. Le réflexe de politesse, c’est une bonne inertie, une force qui vous entraîne du bon côté et évite le combat que d’autres, par mauvaise inertie, ne sauront pas voir venir. » S. U. Uem**

 



Uem*    entretien de Shigeru Uemura dans la revue arts martiaux, mis en ligne sur www.kamuhi.com, en mai 2006, par Seijilo Uenura
Uem**    http://www.ffkama.fr/magazine/n22/P36-39-KM22.pdf

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