La Philosophie à Paris

ALAIN BADIOU 11 / Deleuze Platonicien ? Soulevons le voile du jugement

15 Décembre 2008, 10:00am

Publié par Anthony Le Cazals

  • « Tout comme pour Platon » _44 « Comme Platon » _43 « Comme pour Platon » _43 « Je ne suis pas sûr que Platon soit si éloigné » _43 « Il retient de Platon » _69 « Il m’a toujours semblé que la cosmologie de Platon … avait quelque chose de deleuzien » _106 « Le « platonisme » comme construction d’appui pour Deleuze » _106

Deleuze Platonicien ? Soulevons le voile du jugement…  — « Faire une fois de plus de Deleuze un platonicien involontaire » c’est ce à quoi il s’arrange BdDE_92, chercher d’abord le plus grand degré de ressemblance et d’identité, comme s’y amuserait le coucou. Mais, rien de neuf à l’horizon, Deleuze savait les analogies qu’on pouvait faire entre Platon et Bergson et comme il poursuivait Bergson, entre Platon et lui. Deleuze notait déjà « au moins un texte de Bergson serait en ce sens très platonicien » DzID_58, c’est qu’on peut trouver des analogies partout. Mais à ce petit jeu, certains passages _57 sur le double mouvement de l’intuition deviennent très douteux : la coexistence en durée y devient succession de mouvements. Ce curieux changement métaphysique est à la fois infime et radical, il suffit d’insister sur la copule « puis » une fois et ensuite de la répéter : « de A à B puis de B à A… De A-l’étant à B-l’Être puis de B-l’Être à l’étant ». C’est une manière d’inciser et d’introduire de la succession là où il y avait coexistence de deux mouvements. Grande affaire métaphysique ! On retrouve là une transposition des mouvements de procession et de conversion ou d’attraction et d’impulsion chez Plotin, chez tout platonicien. Ce mouvement qui prend place dans la disposition verticale du sens _61 du vieux modèle philosophique et pour lequel il y a des énoncés-mouvements successifs « ascendants » et « descendants » soit la « descente » et la « remontée » _88-89 et non un balayage horizontal, l’intuition. Cela est dû à une confusion récurrente chez Badiou entre modal et formel _43 ou _57. Badiou pense que la distinction numérique est purement formelle _41, c’est le subterfuge qui permet de poser des partages équivoques de l’Être _41 et d’opérer la distinction du réel et du formel _40. Ceci fera que le virtuel pour Badiou n’est pas réel mais contingent, de l’ordre de l’Un plus que du Tout. C’est un premier pour l’assimilation du virtuel au possible, qui comme nous le verrons, est le grand danger contre lequel Deleuze met en garde. Pourtant Badiou sait, au vu de la citation qu’il fait BdDE_44 citant DR_52, qu’une distinction réelle est formelle pour Deleuze et que la distinction numérique est quant à elle modale. Mais pour un pythagoricien comme Badiou ce qui numérique est formel comme l’« Un », le « Deux », il reste catégorique. C’est pourquoi le Spinoza de Deleuze devient pour Badiou une « créature méconnaissable » _8. Pour nous, toute reconstruction de Deleuze à partir de Badiou devient impraticable. On ne franchit pas impunément la ligne du différend sans produire de nombreuses confusions. Des rabattements sur l’Un apparaissent ailleurs quand Badiou en vient — après avoir cité que le non-sens est à la fois ce qui n’a pas de sens et ce qui opère la donation de sens — à dire que le non-sens est ontologiquement le sens. Il permet ainsi sa défense de « l’absent de l’absence de sens ». Tout ceci n’est qu’une simple préparation pour la suite. Il ne s’agit nullement d’entrer dans la contradiction avec le dogmatisme si fiers et si proche de l’effondrement : le combat de front, ramené dans le champ de l’abstraction, est perdu face à ce qui est déterminé d’avance, par simple effet de capture. Si Deleuze a interdit la publication de sa correspondance avec Badiou, c’est qu’il a expérimenté cette capture de l’abstraction. Pour Deleuze, la pensée est moins une entreprise de fondation que de sécrétion : un bon kantien dirait, la puissance de l'indéterminé prime sur l'acte de la détermination ou encore que la contingence conserve ses droit sur la nécessité. A ce titre, le problème fondamental, né de cette tension entre détermination et indéterminé, est selon lui l'irréductibilité de la pensée à l'acte de penser, c'est-à-dire à l'« être ». C'est le va-et-vient de l'un à l'autre qui engendre le fameux plan d'immanence. Encore une fois, Badiou par ses jugements cherche à démontrer que « la philosophie  de Deleuze est une pensée du fondement » _69 pour laquelle « la vérité [serait] le temps » _69 au lieu d’insister chez Deleuze sur la  philosophie comme sécrétion et expression. La durée ou le temps non-chronologique, y sont secrétés indifféremment à la vérité : il n’y a donc pas de fondement virtuel comme transcendance  comme le voudrait tant Badiou _69. Mais la transcendance n’est pas là où on croit. Insister autant sur le fondement ne vise qu’à introduire un « partage équivoque de l’être », c’est-à-dire à faire que tout s’équivaut et qu’il ne soit plus possible de penser avec Deleuze : ce qui peut se lire dans l’égalité suivante comme stricte correspondance : Etre = vie inorganique _117 = immanence _117 = donation insensée du sens _117 = durée pure _117 = relation = affirmation du hasard _117 = éternel retour _117 = état du monde _118 = virtuel _65/79 = Un _79 = Mémoire absolue _134 = Evénement  = Bien _44. Ce qui est fort et réduit toute pensée à l’acte de penser qu’est l’être, anéantissant tout point de vue critique et toute disposition à penser. Capturer, par des abstractions qui nous apparaissent futiles, produit l’effet suivant : tout se vaut donc rien ne vaut. Et même, tout revient au Même. Inutilité et vanité de l’action. . Badiou omettra puisque cela ne l’arrange pas de dire ceci : l’Evènement n’est pas l’être DzLS_34/211 mais « l’extra-être » DE_54. Sous l’énoncé étonnamment abstrait : « L’être est équivoque », les choses vont beaucoup plus loin, puisque l’énoncer, c’est poser une vision mimétique sur ce qui est. On en arrive à penser « l’identique comme supérieur à la différence » DE_103.
Commenter cet article