La Philosophie à Paris

CINEMA / Lady Chatterley

26 Novembre 2006, 13:02pm

Publié par Anthony

Pour les Sorbonnards qui ont suivi les cours de philosophie politique de Mr Picavet, où celui-ci reprenait un réflexion absurde pour savoir si c’est une personne prude ou immoral qui doit lire L'amant de Lady Chatterley, je ne dirai qu’une chose ALLEZ VOIR LADY CHATTERLEY au cinéma, qui est tiré de la seconde version plus personnelle qu'en a donné D. H. Lawrence (Lady Chatterley et l'homme des bois). La réalisatrice Pascale Ferran, insiste bien dessus. La question de savoir s’il faut aller voir ce film ne se pose pas ne serait-ce que pour la scène final. J’ai vu les gens rester dans leur fauteuil pendant le générique et pas un sortir. Dans cette scène final il y a comme la confession de Lawrence pour sa féminité, sa sensibilité qui a tant de mal à s’ajuster à la « convoitise » et au rythme du monde mécanisé. Rappelons que la toile de fond du roman comme du film est une ville minière anglaise non loin de Sheffield, que Constance, Lady Chatterley, se trouve être la femme du directeur de la mine, Clifford.  Bande Annonce Film en VF

affiche du film Lady Chatterley

La question de savoir si c’est un prude ou un immoral qui doit aller voir le film ne se pose pas. Ce n’est pas en terme de moralité qu’il faut aller voir ce film, mais d’érotisme, avec toujours en tête qu’il y a chez Lawrence comme un désir de chasteté, d’amour qui rend libre du désir sexuel, ou plutôt du plaisir sexuel. Cette dimension là vous la retrouverez chez Malraux* ou encore chez Romain Gary, dans ses Ecrits sur l’homme, où il allait même jusqu’à conseiller des couples mariés, pour qu’il ne dépense pas toute leur énergie sexuellement, pensant faire plaisir à l’autre. La film mais au fond l’accent sur la liberté que l’on peut se donner et qui découle de notre rapport à la nature. Le film met en avant une caractéristique que l'on retrouve chez Lawrence comme chez Parkins : le don de la vie, je vous le laisse le découvrir, mais c'est souvent l'une des constante dans les films d'exalter la vie. Même si dans Lady Chatterley il y a une façon toute particulière de filmer, où c"est quand il pleut que la caméra se met à bouger. 

Bande Annonce Film en VF

Ôde à l'amour, Lawrence insistait déjà sur le côté vital des « sentiments sexuels », dans une Angletterre industrialisée où les hommes restent marqués d’impuissance à leur retour de la guerre de 14-18, comme le personnage de Clifford, le mari de Lady Chatterley. Mais il s’agit bien à travers l’érotisme du film de dépasser la dimension sexuelle des plaisirs, pour celle amoureuse des désirs, tout aussi individuelle au départ mais qui nous fait communier avec la vie. C’est toute la thématique qui traverse le film en point d’ombre : l’absence de la personne aimé. Mais c’est avant tout une quête au travers de la sexualité d’une chasteté et d’une paix retrouvée avec la nature, avec sa propre nature. Comme le dit Lawrence dans L’amant de Lady Chatterley :

«Je veux qu'hommes et femmes puissent PENSER les choses sexuelles pleinement, complètement, honnêtement et proprement. Même si nous ne pouvons pas AGIR sexuellement, à notre pleine satisfaction, sachons au moins penser sexuellement avec plénitude et clarté. Toutes ces histoires de jeunes filles virginalement blanches, comme une page où rien n'est écrit, ne sont que sottises. Une jeune fille et un jeune homme sont un entrelacs tourmenté, une bouillante confusion de sentiments sexuels et de pensées sexuelles que le temps seul pourra débrouiller. De longues années à penser honnêtement les choses sexuelles, de longues années passées à les agir laborieusement, nous mèneront enfin où nous voulons atteindre, à cette chasteté accomplie, à cette plénitude, qui n'est possible que si notre action sexuelle et notre pensée sexuelle sont en harmonie et si l'une ne met pas obstacle à l'autre.»

 «Et alors, j'aime ma chasteté d'aujourd'hui parce que c'est la paix qui vient d'avoir fait l'amour ensemble. [...] Je l'aime comme les perce-neige aiment la neige. J'aime cette chasteté qui est un espace de paix dans notre amour. [...] c'est comme une rivière d'eau fraîche dans mon coeur. [...] Quelle misère d'être comme Don Juan, impuissant à tirer la moindre paix de l'amour, [...] incapable d'être chaste.»


Parkin est en fait un homme des bois; il est devenu garde-chasse chez les Chatterley au retour de la guerre, à la suite de sa séparation d'avec sa femme, une union qu'il décrira comme une mésalliance autant intellectuelle que physique. C'est un solitaire méditatif et dénué d'ambition qui se satisfait de son travail qu'il accomplit consciencieusement. Quant à Constance, c'est une «belle fille saine et campagnarde avec des cheveux doux et bruns, un corps solide, et de lents mouvements pleins d'une énergie peu commune [...] de grands yeux étonnés, une voix douce et moëlleuse ». (description dans l'Amant...) Voici les deux personnages à l’énergie vital du film puis viennent en contre-point, Clifford le mari de Constance, paralysé à la suite de la guerre, impropre à accomplir les choses ou, par sa vanité d’homme riche, à reconnaître les défections du monde moderne. On peut toujours se risquer à une correspondance avec le roman (L’amant de…), pour ne pas parler directement du film. Le portrait que Lawrence fait de Hilda, soeur de Constance, est celui d’une femme moderne libérée, volontaire, mettant l'autonomie au-dessus de tout, l'antithèse de la craintive Lady Chatterley: «Hilda aimait le jazz, parce qu'il lui permettait de se frotter le ventre contre le ventre d'un homme, ou présumé tel, de lui laisser, de ce centre viscéral, diriger tous ses mouvements ici et là à travers la salle, et puis de s'éloigner et d'oublier le personnage. On s'était seulement servi de lui.» Chez Lawrence, le chaste, moins tendre est sa description des hommes en vacances et en chasse amoureuse: «ils ressemblaient à de grands chiens en pantalons de flanelle, attendant d'être caressés, attendant de se vautrer, attendant de frotter leur ventre contre un ventre de femme, au son du jazz». Il y a un tableau très esthétique là dessus dans le film. Au fond, Lawrence est plus moral qu’il n’y paraît, il voit dans le travail dégradé en course à l'argent un autre facteur de la désintégration des rapports amoureux entre les hommes et les femmes : (toujours dans l'Amant...«Je mettrais les hommes nus, simplement et leur dirais: Regardez-vous! Voilà ce que c'est que de travailler pour de l'argent. Et c'est pour de l'argent que vous avez travaillé jusqu'ici! Regardez Tavershall (c'est la ville minière où se déroule le roman), c'est horrible! ... C'est parce qu'elle a été construite pendant que vous travaillez pour de l'argent. Regardez vos femmes! Elles ne tiennent pas plus à vous que vous ne tenez à elles. C'est parce que vous avez passé tout votre temps à travailler et à ne tenir qu'à l'argent. Vous ne pouvez ni parler, ni bouger, ni vivre; vous êtes incapables de vous tenir avec une femme. Vous n'êtes pas vivants. Regardez-vous!»








 








 

 

 

 

 

 

«J'aime la littérature classique anglaise, souligne Pascale Ferran. Mais, j'ai découvert D. H. Lawrence sur le tard. Je pensais, à tort, que c'était un auteur mineur. J'ai commencé par lire Women in Love avant de m'attaquer à L'Amant de lady Chatterley, son chef-d'oeuvre publié en Italie, en mars 1928, à compte d'auteur, quelques mois avant sa mort. Le thème de l'amour plus fort que les barrières sociales m'a enthousiasmé.» Pascale Ferran, réalisatrice.

 

 

 

 


 

* Un jugement de Malraux sur L'amant de Lady Chatterley:«Peut-être ce livre ne prête-t-il nulle part à la confusion plus qu'en France, parce qu'il se fonde sur l'érotisme. Chez nous, l'érotisme s'oppose à d'autres passions, à la vanité surtout (d'où le subtil sadisme des Liaisons dangereuses). [...] Pour tous nos auteurs du second rayon, le livre érotique est un moyen dont la sensation est la fin. Depuis la Renaissance, poursuit Malraux, l'érotisme occupe une place de plus en plus importante dans la vie des hommes. Il s'approche peu à peu de l'individu. Il était le diable, il devient l'homme; nous allons le voir dépasser l'homme, devenir sa raison d'être. Là est l'intérêt essentiel de ce livre, et aussi son intérêt historique: l'érotisme y cesse d'être l'expression de l'individu. Il devient un état d'âme, un état de vie, comme l'opium pour les Chinois des dernières dynasties: c'est l'individu maintenant qui n'est plus qu'un moyen. L'important n'était pas pour Lawrence de défendre sa liberté, mais de savoir ce qu'on en pouvait faire.»

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