La Philosophie à Paris

936. Négligence : Will Hunting et la problématique : une suite à l’art de la rencontre.

7 Mars 2013, 19:28pm

Publié par Anthony Le Cazals

Les dieux s’intéressent aux grandes choses et négligent les petites. Cicéron, La nature de Dieux, II, 6.


Selon une phrase fameuse : On ne résout pas un problème, on l’entretient, c’est-à-dire que le problématique est avant tout un régime discursif, un métabolisme du souci, du soin, de l’entretien qui produit sa propre névrose. Une phrase de Wittgenstein veut que les philosophes s’obstinent à buter dans un mur au lieu de pendre la porte qui se trouve juste à côté. Dès lors apparaît la question du style, de l’allure, de l’entrain avec lequel on se saisit des choses et où l’on tombe ou non dans le problématique. Ne pas tenir compte des problèmes qui vous débordent, comprendre qu’ils sont avant une question de jointure mal ficelée et toujours à refaire. Passer à un autre métabolisme que celui de la subjectivité mettons celui du métier, du polissage de lentilles, voir de l'activité dévorante DosLD°II,IV,3...


La négligence, c’est l’oubli actif de l'activité débordante. C’est l’oubli de la contradiction que voudrait nous faire porter celui qui est au repos et juge depuis son promontoire. Le juge-dialecticien pense, quant à la contradiction, qu’il s’agit d’en maintenir les termes par la vitesse du mouvement SarSG_211. Mais le mouvement ne porte pas en lui-même la contradiction, il ne vient pas après l’arrêt. Mais ce dernier, comme étape, est nécessaire pour opérer un non-choix, pour suivre son intuition qui avant tout nous dit où ne pas aller. De là l’erreur, le crime que l’on fait porter aussi bien à Paul qu’à Jacques, simplement parce qu’il est ancré dans nos instincts « chrétiens » de juger l’autre plutôt que de le fortifier dans son mouvement. À rebrousse-poil, on dira qu’un problème opère toujours en se posant une coupe, un arrêt RosLSD_114. Pourquoi se taper contre le mur plutôt que de prendre la porte à côté, c’est toute l’incompréhension que génèrent les instincts décadents. Les problèmes sont à l’intersection de la contingence RosLSD_113 et de la nécessité, tiennent du systématique et de son pouvoir illusionné à trancher. Les problèmes seraient même d’autant lestés que la contingence et la nécessité se confondraient loin de la « liberté » RosLSD_114. Il y a d’une part l’idée que poser un problème, c’est inventer c’est-à-dire rendre la vie problématique, Le problématique n’est pourtant pas le machinique* ceint d’une axiomatique : Il arrive que nous ayons un problème sur lequel nous sommes vaguement d’accord, mais nous cherchons des solutions capables de le préciser, de le localiser, de le conditionner. Ou bien nous trouvons une solution, mais nous ne savons pas pour quel problème. Nous avons une idée qui semble fonctionner dans un domaine, mais nous cherchons d’autres domaines, très différents qui pourraient prolonger le premier, en varier les conditions à la faveur d’un tournant Deleuze in Maggiori, La philosophie au jour le jour, p. 375. Avec les problèmes surgissent donc la question du tranchant. Cela touche au systématique plus qu’au système et induit à chaque fois la manière d’exister. On est dès lors pris dans un métabolisme fait de forces plus que dans un symbolisme propre aux formes. On est dans le conditionné, c’est-à-dire le décadent et non dans l’inconditionné.


L’énigmatique, quant à lui, renvoie directement à l’inconditionné, mais cette indication est simplement le discours de la capacité atteinte et de la puissance accomplie. Il est le discours sédimenté et fossilisé dont on a extrait des formules. Mais par là, on se coupe des échelons ultérieurs de la compréhension. C’est pourquoi Montaigne pouvaient dire que ceux qui reprennent les formules d’Héraclite à la lettre sont des imprudents. L’énigmatique, comme discours propre au sage (sophos) plutôt que le problématique éprouvé par le commun « des mortels » (koinos) pousse au combat. Le problématique des temps modernes est le sujet 711. À une autre époque nous aurions eu affaire à autre chose et non pas à la longue lamentation sur la fatigue de la mouvance ou sur l’épuisement des possibles qui renvoie à l’étouffement de la finitude et l’impossibilité de trouver des débouchés. Poser la vie comme problème  ou comme problématique, c’est un peu ce que tous les philosophes font. Un livre de philosophie apprend comment toujours se dépêtrer avec les fous, les importuns, les imprudents. Un livre de philosophie n’expose jamais une thérapeutique mais un art de la rencontre : savoir comment faire avec les problèmes non pour les poser mais pour les éviter. L’art de la rencontre est prodigieusement juif DzQP en ce que, au-delà de l’allogène, le juif  attend toujours un prophète qui éclairera son existence, là où le païen déguisé en chrétien  cherche le règne de Dieu sur terre, c’est-à-dire la Paix. Faire que le problème ne soit pas apparent, dans le cas de Kafka il y a une hantise que ses transmutations et métamorphoses apparaissent au grand jour. Pour vivre heureux, vivons cachés, époque de liberté disait Sartre quand il logeait jusqu’à la fin de la guerre sous l’appartement de sa mère, avant que le succès ne le prenne en otage.

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