La Philosophie à Paris

LA TRAGEDIE / Antigone faite comme un rat

18 Septembre 2006, 19:35pm

Publié par Le Cazals

La tragédie de Sophocle, Antigone, nous met face à ce que les grecs nommaient de la démesure ou de l’événement. La démesure ou l’hybris est ce qui excède le langage, ce langage qui tisse les choses ensemble, les met en rapport. La démesure, l’hybris, est un non-rapport. Elle provoque l’incompréhension. La violence qui en découle ne peut être tisser avec les exigences de la vie quotidienne, elle ne peut-être mise en rapport avec le discours habituel (le logos). C’est pour cela qu’on disait que la tragédie préparait le citoyen grec en vue d’aller voter : assister à une tragédie le sortait de son individualité, de la petitesse de ses problèmes quotidiens pour considérer ceux de la cité. Plus largement la démesure, le côté tragique de la vie renvoie à ce qu’il y a de rats souffre-douleurs en chacun de nous, à ce que par une audace, que Castoriadis considère comme exagérée, nous avons certainement expérimenté dans certaines situations. Pour les personnes qui ont vécu cela, nos propos sur Antigone feront écho. Nous nous bornerons ici à ne discuter que les commentaires que fait Castoriadis d’Antigone de Sophocle CstFP_24-34/39-46.

 

 

 

Rappelons le mythe d’Antigone, fille du roi de Thèbes Œdipe. Elle est l'une des enfants nés de l'union incestueuse d’Œdipe et de sa propre mère, Jocaste. Antigone est la sœur d'Ismène, d'Etéocle et de Polynice. Quand son père est chassé de Thèbes par ses frères et quand, les yeux crevés, il doit mendier sa nourriture sur les routes, Antigone lui exprime un grand dévouement et lui sert de guide. Elle veille sur lui jusqu'à la fin de son existence et l'assiste dans ses derniers moments. Puis Antigone revient à Thèbes. Elle y connaît une nouvelle et cruelle épreuve. Ses frères Etéocle et Polynice se disputent le pouvoir. Ce dernier fait appel à une armée étrangère pour assiéger la ville et combattre son frère Etéocle. Après la mort des deux frères, Créon, leur oncle prend le pouvoir. Il ordonne des funérailles solennelles pour Etéocle et interdit par une loi à quiconque de donner une sépulture à Polynice, coupable à ses yeux d'avoir porté les armes contre sa patrie avec le concours d'étrangers. Antigone cherche avec audace à trois reprises à recouvrir le cadavre de son frère de terre afin de répondre à ce que Sophocle en poète nomme la justice des dieux : un corps laissé sans sépulture condamne l’âme du défunt à errer éternellement. La troisième fois, Elle est surprise par l’un des gardes qui surveillaient le corps. Créon la condamne donc à être enseveli à mort. Pour Castoriadis, que ce soit les lois de la cité ou la justice des dieux, aussi bien Antigone que Créon sont incapables de les tisser ensemble ; chacun d’eux, pour s’être voué à la défense aveugle et absolue de l’un des deux principes, devient hubristès (emporté, excessif) et apolis (mis au ban de la cité). Or Créon revient sur sa décision et au cinquième épisode de la pièce, il accepte que soit rendue une sépulture à Polynice et il veut libérer Antigone. Mais trop tard, Antigone s’est pendue. Hémon, son fiancé, fils de Créon se suicide à son tour sur le corps d’Antigone. Eurydice, femme de Créon apprenant la mort tragique de son fils se suicide à son tour. Créon reste tout seul.

 

 

 

Castoriadis s’arrête surtout sur les notions d’intérêts admis par la cité (astunomous orgai), d’homme grand dans la cité (hupsipolis) et de personne mis au ban de la cité (apolis). Il cherche à justifie le programme démocratique . Mais si Créon s’emporte (hubristès) et pense être dans son droit (monon phronein=être le seul à penser juste), et même su sa famille se délite à la suite de meurtres et de suicides, on ne peut pas dire qu’il soit apolis. L’acte par audace (tolmas kharin) est surtout du côté d’Antigone, c’est elle qui transgresse l’interdit fixé par son oncle Créon. Créon, lui, revient sur sa décision et tisse donc les lois des hommes et la justice des dieux, devient-il grand dans la cité pour autant. Non puisqu’Antigone oppresssée par la situation se pend, prise entre la loi politique et la coutume religieuse d’enterrer les morts. La justice des dieux amène des valeurs morales : comme celle d’enterrer les morts pour ne pas que leur âme erre. L’homme peut devenir grand (Hupsipolis) en tissant ensemble la justice des dieux et les lois de son pays CstFP_26/32, ce que parvient à faire Créon même s’il le fait un peu trop tard, seulement à la fin de la tragédie. Créon occupe un haut dans sa cité alors qu’Antigone, elle, aura franchi par audace les mœurs admises par la cité, les astunomous orgai. Astunomous orgai est souvent traduit par les mœurs civilisés, ceux que régissent une cité, mais ce n’est pas seulement cela. Ce sont surtout les impulsions et qu’admette une cité, les mœurs civilisés comme on dit mais aussi les impulsions et les passions . Comme pour la physique quantique on est plus dans un monde de dispositions ou impulsions qu’un monde de propriétés ou de lois. Castoriadis à propos des orgai n’hésite pas à parler Poussée spontanée et incoercible, ce qu’une pensée énergétique traduirait par pulsion libidinale. Ainsi les astunomous orgai sont les capacités d’énergie tolérées par une époque ou une société et qui augmente à mesure qu’il y a moins d’antagonisme et de vains conflits : c’est tous le paradoxe que soulève par exemple le texte de Deleuze et Guattari, Mai 68 n’a pas eu lieu. Ses auteurs soulignent combien les grands événements arrivent sans bruit et quand ils ne parviennent à s’enclencher pas dans la réalité produisent une farce bruyante plein d’aberrations, de symptômes de ce qui n’advient pas. Ce qui n’est pas advenu en mai 68, c’est une nouvelle subjectivité ou une capacité d’énergie plus importante, bref une aptitude plus grande à solutionner les problèmes dans la joie et non par obligation ou par contrainte.. Au final, on se trouve bien dans l’antagonisme ou plutôt la concurrence entre celui qui a un haut rang dans la cité (l’homme supérieur) et d’autre part la personne qui affligée par un lourd passé ne parvient à dépasser les valeurs morales et à devenir ainsi créatrice et autonome. L’Antigone de Sophocle nous permet au moins d’affirmer une chose sans hésitation : le justice des dieux ne suffit pas, pas plus que ne suffisent les lois de la terre qui toute deux appartiennent à une hiérarchie des représentations. Antigone ne porte pas sur la différence entre morale religieuse – justice des dieux incarnée par Antigone – et politique d’état les lois de la cité mais sur l’acte commis par audace par Antigone qui veut enterrer son frère qui la place dans une situation inacceptable pour la majorité. Créon tombe dans un excès d’orgueil mais n’a pas d’audace. S’il est homme qui insulte les autres c’est par le fait que comme Antigone il pense être le seul à penser juste, à pouvoir juger. Il tombe dans le monon phronein et sort comme Antigone de l’ison phronein. S’il y a un aspect démocratique il est bien dans le nivellement morale que suggère l’ison phronein comme sagesse égale commune à tous les citoyens CstFP_26. Cette tragédie, sortie de la pensée commune et égale pour tous, ne parle nullement de démocratie CstFP_27. Nos sociétés actuelles via les villes cosmopolites qui admettent des personnes rejetées par leur communauté. On peut se demander alors si une pensée libre n’est pas possible par un collectif réduit ou épars de gens qui ne relèverait ni du monon phronein ni de l’ison phronein, ni de l’individu ni de la communauté.

 

 

 

Rien n’est plus terrible, capable de création que l’espèce humaine parce qu’elle concède à perdre son humanité, sa trop grand tendance à la compassion, à l’amour propre ou à l’égalité. Ce que trame Antigone dépasse les faits, les différents égoïsmes et altruismes, pour quelque chose de plus éclatant qui serait de nous confronter à notre propre audace. Mais dans la cité grecque la morale est sauf puisque, pour celle qui se met au ban de la cité, le résultat concret ne peut être que la mort, la fuite ou l’exil CstFP_26, ce que nous avons résumé par ailleurs par « fuir ou périr ». Sophocle fait de l’homme non un « vivant pourvu de langue » ou un « vivant politique » mais un vivant pourvu d’un caractère terrible. Le terrible, le deinos, c’est ce que l’homme en tant qu’espèce possède plus que toute autre espèce, mais c’est aussi le puissant ou l’étonnant parce que capable au plus haut degré Cst_28. Le terrible c’est que Heidegger traduit par le très insuffisant das unheimliche Cst_28 pour faire un pont avec la tout aussi mal traduite inquiétante étrangeté de Freud. L’inquiétante étrangeté se comprend comme l’appréhension d’un point de vue moral ou trop chargé d’habitudes comme ce qui échappe à la compréhension et déstabilise par son audace et son côté étonnant, simplement parce qu’il possède sa propre loi. Le deinos est un autre pseudonyme qui dissimule la capacité. Parce que Castoriadis met Antigone et Créon tout deux dans le côté apolis de la balance sans voir que Créon est obéit au bien, il estime que l’homme qui se crée lui-même doit aussi s’auto-limiter. Mais c’est la puissance erratique du pouvoir, qu’il faut freiner non l’audace d’Antigone. Nous nous trouvons donc dans un dispositif qui met en concurrence l’homme supérieur, Créon, et l’anomalie souffre-douleur qu’est Antigone. L’un assumant jusqu’au bout l’hétéronomie (les lois qui promulgue dans la cité) et la seconde reste prisonnière de son trop grand dévouement familial et par là d’une morale religieuse (la justice divine). Antigone est une anomalie vaincue de n’être parvenue à l’autonomie, ce qui n’est pas permis à tout le monde, mais est aujourd’hui possible à un plus grand nombre.

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P
<br /> Il y a d'autres interprétations des tragédiens grecs, qui ne sont pas morales. Ils s'inscrivent dans la tradition homérique. Cfr: Hans van Kasteel, QUESTIONS HOMÉRIQUES, Beya Éditions, Grez-<br /> Doiceau, 2012<br />
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F
salut merci pour ce blogue que tumet à notre disposition j'ai lu tes commentaire sur la cité grec mais j'ai une préoccupation pourrais tu me dire qu'elle relation il y a entre les mortels et les immortels à travers le discours de créon et d'antigone ? LES REFERENCE DU TEXTE A ETUDIER CREON - eh bien(...) ANTIGONE : oui  (...)  des dieux ?  
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