La Philosophie à Paris

916. Une pensée de la convergence : oubliées la « Pensée de la divergence » et la « gaucherie ».

25 Février 2013, 17:52pm

Publié par Anthony Le Cazals

 

 

En une formule, Paul Virilio dit l’écran domine l’écrit. Renversons cela. Chimère ?


Ce que la société « cohérente » fustige sous les termes de « pensée divergente » et « gaucherie »est simplement d’une pensée de la convergence. Elle n’est possible que par l’émergence d’un troisième support mémoriel : internet 817 comme médium de la convergence Stiegler de tous les médias. Cet article n’est fait que pour poser ce qui serait à la base d’une incompréhension voire une négation par rapport à tout ce qui a été exposé dans nos trois livres comme étant une « pensée du Dehors ». Il y a une explication physiologique à l’émergence d’une telle pensée en tant qu’elle est la convergence de tendances jusque là refoulées ou simplement inhibées par les attentes de la société moralisée. Sa morale, qu’elle soit close ou ouverte, sert de béquille à l’homme faillible, étymologiquement l’imbécile. Nous passons donc d’une intuition intime de différence à son affirmation via les connaissances actuelles — le logos endiathetos se transforme en logos apophanticos. Nous le savons à présent notre bras droit est commandé par l’hémisphère cérébral gauche et notre bras gauche par l’hémisphère droit. La différence entre l’usage des deux hémisphères cérébraux va plus loin : l’hémisphère gauche serait majoritairement l’hémisphère du langage, de la logique formelle et sérielle et du calcul, alors que l’hémisphère droit serait celui des intuitions, de la musique, de la vision, bref de tout ce qui est non verbal mais littéral.  Cela s’appelle l’asymétrie cérébrale. Au passage, cette asymétrie remet en cause tous les discours a priori de Kant sur la chiralité et sur l’espace absolu dans lequel notre main droite se superposerait à notre main gauche puisqu’elles ne sont pas reliées aux mêmes hémisphères dont les dispositions diffèrent. Si on en reste à la représentation formelle de l’homme, on manque la complexité physiologique du surhomme, car faire usage de sa main gauche dénote autre chose que de faire usage de sa main droite, quant au développement du cerveau. Des études plus poussées ont même montré que si l’apprentissage de la langue maternelle se fait dans l’hémisphère gauche propre au langage et au calcul, l’apprentissage d’une seconde langue se ferait dans l’autre hémisphère. Parfois l’hémisphère du langage pourrait être inversé, c’est l’hypothèse Lévy-Reid. Elle a été confirmée pour les langues indo-européennes et sémitiques en 1993 par les travaux de Duckett, Gibson et Salama. Deleuze ne le sait peut-être pas mais il a basé son renversement du platonisme sur des personnes et des penseurs qui étaient gauchers ou ambidextres. Paradoxe puisque Nietzsche est gaucher et son cerveau a un fonctionnement d’abord intuitif et avec une prédisposition marquée pour la musique. Est-ce un hasard si Nietzsche nommait « esprit libres », les anticonformistes. Cela n’a rien de hasardeux même si les droitiers conformistes ont du mal à le comprendre. Les gauchers utilisent leur cerveau droit de manière préférentielle et les droitiers leur hémisphère gauche, si l’on omet certains cas de renversement de cette asymétrie, cela est dû au croisement des nerfs que l’on nomme décussation au niveau du bulbe rachidien ou = chiasma optique pour les nerfs optiques. La tension entre les valeurs se joue là car le platonisme pour le peuple que constitue la chrétienté cette hémiplégie de l’action comme la fustige Nietzsche 135 n’a pas pu assimiler tout Platon. Nous allons le voir un peu plus loin, mais avant, j’avais posé une lignée avec Archimède, Vinci, Tesla comme série des grands inventeurs, cette lignée est faite d’ambidextres ou ambimanes si on suppose qu’Archimède l’était aussi. À cette série ajoutons Goethe et Nietzsche qui tous deux usaient de la pensée divergente aux yeux des droitiers cohérents : ils étaient aussi des gauchers.


Illustration ambimane —  I am ambidextrous now, but then I was left-handed and had comparatively little strength in my right arm (Nicola Tesla, Autobiography, chapitre 2). Cette ambidextrie lui est survenue après la perte de son frère ; Le traumatisme fut tel que cela a aussi induit une vision synthétique dans ses projets sans avoir recours aux maquettes. Il pouvait directement définir tous les détails.


Essayer de forcer un gaucher à être un droitier est un gâchis dans le développement neurologique. Cette coercition peut induire chez le gaucher contrarié un bégaiement dont il aura du mal à se défaire. Levis Carroll était issu d’une fratrie de onze gauchers dont sept étaient bègues. La question qui surgit dès lors étant l'affirmation de la personnalité. Si on prend le cas de Lewis Carroll et de ses frères et sœurs, il est difficile de ne pas voir le lien entre bégaiement et gaucherie. Le thème du bégaiement concerne moins la parole que le langage chez Deleuze DzD_10 DzMP_124. Mais au fond il s'est intéressé beaucoup à des gauchers Nietzsche, Lewis Carroll dans son histoire des penseurs isolés. La gaucherie « contrariée » joue un rôle dans la genèse du bégaiement et que ce trouble peut disparaître après un retour au côté dominant. « Il faut tenir compte dans la notion de gaucherie contrariée non seulement du problème posé par le passage de l'activité d'une main dominante à une main non dominante, mais aussi du terme de "contrarié" c'est à dire jusqu'à un certain point d'une contrainte, qui entraîne chez l'enfant à un certain âge une modification affective émotionnelle » Hecan et Ajuriaguerra. La logique très spéciale, que met en place Lewis Carroll et que relève Deleuze dans Logique du sens, tient au milieu gaucher et permissif où il a baigné. Il faut se rappeler qu'au Moyen Âge la main gauche était perçue comme la main du diable ; à la gauche du Père se trouvent les promis au feu éternel de l’Enfer. Ainsi on leur attachait la main gauche dans le dos pour qu'ils ne deviennent pas gauchers. À la Renaissance les artistes sont autorisés à créer et dessiner de leur main gauche. L’obscurantisme moyenâgeux disparaît, ce qui permet à de grands artistes comme Leonard de Vinci de peindre la Joconde de la main gauche. Il y a dans la société un besoin de rectifier ce qui n'est pas comme la majorité des gens. Michel Foucault appelle cela « l'orthopédie morale ». En tant qu’homosexuel, il connaissait cela puisque la haine de la diversité génère les racismes  et les exclusions. Mais sur le cas des gauchers, il s’agit d’une orthopédie physiologique qui conduit à utiliser sa main gauche comme un pied et à limiter d’autant l’usage intuitif et inventif de l’hémisphère droit du cerveau qui la commande.


Il se trouve que la pensée dite divergente est souvent pratiquée par les gauchers  mais l'expression même provient de droitiers. Ce sont par exemple des droitiers qui vous diront que vous vous dispersez, quand vous procédez par pensée non séquentielle et non linéaire. Il y a donc deux types de pensées : celle qui, symbolique, se veut cohérente tout en étant par effet de majorité dans le déni du côté émergent — ou minorité. Cette minorité ce sont les gauchers et les personnes ayant un usage préférentiel pour l’hémisphère droit. Les livres parce qu’ils favorisent les écrits linéaires et les longs développements sont plus adaptés à une lecture par l’hémisphère gauche alors qu’Internet produit une convergence qui favorise tant les médias écrits que visuels et le clavier informatique favorise l'ambimanie. Une pensée divergente aux yeux des cohérents n’est qu’une pensée convergente avortée qui n’est pas encore retombée sur ses pattes. C’est pourtant par ce biais qu’arrivent les grandes découvertes. La pensée divergente est un processus ou une méthode de pensée utilisée pour générer des idées créatives en envisageant de nombreuses solutions possibles. Ce concept est souvent utilisé en conjonction avec la pensée convergente, qui suit un ensemble particulier d'étapes logiques pour parvenir à une solution qui, dans certains cas, est une solution "correcte". La pensée divergente se produit en principe dans un cadre spontané et non dirigé, de façon à ce que de nombreuses idées soient générées d'une façon aléatoire et non organisée. Plusieurs solutions possibles sont envisagées dans un court laps de temps, et des possibilités inattendues se dessinent. Lorsque le processus itératif de pensée divergente est achevé, les idées et l'information sont organisées et structurées en utilisant la pensée convergente. Bergson ne l’a pas dit autrement : lignes de faits qui divergent puis recoupement. Des psychologues ont prouvé qu'une personne seule, même dotée d'un « quotient intellectuel » élevé, n’a pas une créativité garantie. Cependant, les traits de la personnalité qui favorisent la pensée divergente ont une place plus importante. La pensée divergente se présente chez les personnes qui présentent des aptitudes à l'anticonformisme, à la curiosité, à la prise de risques et à la persévérance. De plus, des chercheurs de l'Université Vanderbilt ont découvert que les musiciens ont davantage tendance à utiliser leurs deux hémisphères et sont plus aptes à utiliser la pensée divergente dans leurs processus de pensée. Les activités qui favorisent la pensée divergente comprennent la création de listes de questions, la planification d'instants de réflexion, les remue-méninges, les plans de solutions, la tenue d'un journal, les arts créatifs et l'écriture automatique. Dans le cas de l'écriture automatique, le sujet se concentrera sur un sujet particulier et écrira sans arrêt durant un court laps de temps, suivant le fil de sa pensée. Ces personnes ont une perception globale des choses, elles reconnaissent le tout à partir d'un fragment, elles gèrent la complexité. Leur capacité à gérer la complexité leur permet de percevoir la réalité dans son ensemble de façon directe, sans interprétation, leur vision est en quelque sorte littérale comme la qualifie Allan Snyder. Ainsi un cerveau droitier dira du cerveau que l’hémisphère gauche est logique, linéaire et séquentiel dans son raisonnement, analytique en ce qu’il décompose tout en éléments et que l’hémisphère droit opère par intuition, recoupement et synthèse et qu’il est davantage sensible à la complexité et plus porté sur l’imagination que sur le langage. Notre hémisphère droit pourrait même ajouter — s‘il possédait le langage — que c’est en cela que les nouvelles technologies modifient la manière de penser d’une époque en sollicitant autant les deux hémisphères par la convergence du texte et des images ou encore l’ambimanie du clavier.


Tout cela n’a rien de typiquement occidental. Les différents japonais, qui vont des arts martiaux à la cérémonie du thé en passant par la sculpture et la peinture, visent au développement du ki. Une personne qui a une haute intelligence dans un domaine aura une probabilité élevée d'être également intelligente dans tous les autres types d'intelligence. On peut parler de prise d’ampleur ou d’envergure croissante. Cela va en fait contre ce que les positivistes dénoncent comme la spécialisation dispersive. Alors qu’un droitier logique et neurotypique 972 voit de la divergence — voire de la dispersion — dans le créateur ambimane, là où celui-ci ne fait que faire converger ce qui était épars sur un mode synthétique et non pas analytique. C’est un peu comme un sédentaire nationaliste qui finit par vous faire croire que la terre est plate et qu’elle est liée à un axe polaire qui tourne autour de sa subjectivité alors qu’un marin vous parlera de la voile qui disparaît à l’horizon. Un droitier classique et une personne « neurotypique » pratiqueront le déni propre aux valeurs symboliques ou métaphysiques. Par négligence pour cette dimension symbolique qui réclame une analyse des codes, le « gaucher », le « divergent », le « dérangeur » bref l’anomal de notre époque voit la réalité dans sa complexité, selon une vision moins « occidentale » et plus énergétique. Au-delà du fixisme pathétique de celui qui se crispe, notamment sur sa main droite et l’hémisphère « logique » gauche de son cerveau et au-delà du jeunisme de celui qui met en avant le mouvement, il y a toute une énergétique affective pour laquelle la puissance ne saurait se réduire à une dynamique, la pensée au mouvement, même si le mouvement stimule le penseur plus qu’il ne le fatigue. Le penseur consent à collaborer à la puissance et à réintroduire la puissance dans la connaissance. Cela revient à la traditionnelle question de la jalousie des cultures de basse définition pour les cultures de haute définition comme la qualifie Baudrillard. Déjà Platon dans Les lois, en incitant à l’ambimanie, voulait une culture non-atrophiée et de haute définition mais il n’a pas été compris par la culture de basse définition mise en place par les pères de l’Église et nommée par un tour de passe-passe christianisme comme les dénonceront les nihilistes russes Tolstoï et Dostoïevski (Ma religion et Les démons/Les possédés) repris par Nietzsche qui s’est alors fait passer pour l’Antéchrist. Plus récemment comme certains l’affirment, notre société par un besoin de créativité plus grande  favorise les personnes développant davantage leur hémisphère droit : c’est la nécessité consumériste de l'écoulement de la marchandise après le peak stuff. « L’idée principale qui émerge… est qu’il y aurait deux modes de pensée, le verbal (le spirituel) et le non verbal (le littéral), représentés respectivement par l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit, et que notre système éducatif, ainsi que la science en général, tend à négliger la forme non verbale de l’intellect. Ce qui revient à dire que la société moderne fait une discrimination contre l’hémisphère droit. » On se rend compte que les « hémisphères droits sont peut-être doués comme autrefois les gauchers que la morale a longtemps contrariés (http://www.dailymotion.com/video/x8t3qv). C’est là que l’on peut percevoir le changement de paradigme, c’est-à-dire au niveau de la connaissance du passage d’une époque d’analyse à une époque de conjectures où la synthèse obtient en premier des retombées. Le rythme de passage de l’une à l’autre s’accélére à mesure que les « scientifiques » perçoivent un changement de paradigme, car leur tâtonnement d’ouvrier philosophique ne leur permet d’exprimer cela autrement. Si cela n’a rien d’occidental c’est que la mondialisation fait converger notre hémisphère droit avec le gauche en même temps que l’Orient avec l’Occident,  n’en déplaise à ce cher Kipling qui devait être droitier. Cette convergence a aussi été amenée par de longues traditions longtemps restées isolées, pensons aux « disciples » d’Itsuo Tsuda même si la volonté de convergence doit être plus ancienne encore. Itsuo Tsuda est l'élève de Maître Ueshiba, le fondateur de l'Aïkido, et de Maître Noguchi le créateur du Seïtaï Kyokaï. Itsuo Tsuda a écrit neuf livres, en français, qui, par le biais de la diffusion de l'enseignement de ces deux grands maîtres japonais, donnent à l'occident une occasion unique de comprendre une autre façon de percevoir le monde, de l'interpréter et de le vivre, le monde de l'Asie. La mission d'Itsuo Tsuda était de transmettre à l'occident les connaissances traditionnelles de l'Asie, qu'avec ses maîtres il considérait comme patrimoine de l'humanité, pour qu'elles aient une chance de renaître au moment où l'Asie les abandonne au profit de la perspective économique du monde occidental. Dans son premier ouvrage Le Non-Faire (1973), Itsuo Tsuda explique le parcours qui l’a mené en France. «  Depuis le jour où j'ai eu la révélation du « ki », du souffle (j'avais alors plus de quarante ans), le désir ne cessait de grandir en moi d'exprimer l'inexprimable, de communiquer l'incommunicable. En 1970, à l'âge de cinquante-six ans, je quitte mon emploi salarié et me lance dans une aventure sans garantie ni promesse. Après avoir parcouru les États-Unis, j'arrive à Paris. » C'est un de ses disciples qui fait le lien entre hémisphère cérébral majeur droit et la double culture au japon qui repose sur les deux hémisphères. Il ne faut pas juger trop vite sauf à vouloir passer pour un vieux ringard. Apprécions l’évènement. Il y a non pas dispersion mais convergence quand celle-ci n’est pas avortée. 

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