La Philosophie à Paris

INSTITUTION EDUCATIVE / Doctorat, un diplôme jetable ?

15 Février 2011, 00:35am

Publié par Martin Lessard

Un ami qui enseigne dans une université du Colorado m'a pointé vers un article du Economist, «The disposable academic - Why doing a PhD is often a waste of time», sur la valeur du doctorat aujourd'hui. «Pourquoi faire un doctorat est-il une perte de temps?». Étrange. Lisons

Post Doc NightmareL'article traite de la surabondance des détenteurs de doctorat dans un monde qui trouve qu'il y en a trop (trop? Comme si la Terre pouvait être trop bleue!) D'aucuns vont même jusqu'à dire qu'entrer dans la course au doctorat est comme entrer dans un schème pyramidal de Ponzi, lit-on.

L'argument principal apporté par l'auteur consiste à se demander si les doctorants qui graduent gagnent plus que ceux du baccalauréat. Une étude britannique démontre que détenir un baccalauréat permet d'avoir des revenus 14% supérieurs à ceux qui auraient pu aller à l'université, mais qui ont décidé de prendre un autre chemin. Pour un doctorat, cette moyenne est de 26%. Où se trouve le problème?

La comparaison perd de son éclat quand on la compare à la «prime» d'avoir une maîtrise, formation qui prend moins de temps qu'un doctorat: 23%.

L'étude montre donc qu'en moyenne avoir un doctorat ne donne que 3% «d'avantages salariaux» par rapport à une maîtrise. Et encore, pas pour tous les domaines: en math, informatique, science sociale et linguistique, cette différence s'estompe. Et en «engineering and technology» (je ne connais pas l'équivalent français) ou en architecture et éducation, l'avantage disparait complètement et devient négatif.

Il faut probablement relativiser ces chiffres britanniques. Mais on est surpris qu'il n'y ait pas plus de différence.

Malus au doc

L'article conclut en racontant que les nouveaux docteurs trouvent difficilement leur place dans le marché malgré leurs talents. Ou plutôt que les talents collatéraux acquis au Doc sont d'une faible utilité dans un monde où le savoir technique doit être assimilé rapidement et présenté clairement et simplement à une vaste audience (comme si le soin apporté à la rédaction et à la validation ne trouvait plus preneur).

L'article mentionne que certaines universités commencent à offrir à leurs doctorants des cours de «soft skill» (hum, un traducteur dans la salle?) comme la communication et le travail en équipe pour les préparer au marché du travail.

Il n'est pas fait mention dans l'article des raisons autres qu'économiques qui motivent une personne à faire un doctorat, mais l'argument financier fait tout de même mal.

Superflue, super flûte!

L'universitaire semble s'empêtrer d'une connaissance superflue s'il se spécialise trop académiquement. Pénalisé par sa persévérance, en quelque sorte. Ou est-ce alors l'Université qui produit trop d'experts de niveau «académique» (particulièrement dans certains champs d'études) sans possibilité de les replacer dans son propre corps? C'est une des questions posées dans l'article -- qui fait aussi le parallèle paradoxal avec un marché du travail qui se plaint d'un manque de ressources spécialisées. (Et revoilà le débat relancé quant à savoir si le rôle de l'Université est de servir les intérêts du marché ou non).

Je suis plus qu'intrigué par le fait que les doctorants ne trouvent pas leur place. Mais qui ne connait pas un étudiant dans cette situation?

Le savoir ordinaire

J'avais abordé il y a quelques années la montée du savoir profane, ce savoir non-académique, qui entre en compétition avec un savoir plus formel (voir un démonstration que j'avais proposée). Peut-être que le «just good enough» s'applique au savoir en entreprise. L'accès à l'information par internet rend-il la connaissance d'une information moins attirante que la compétence de l'acquérir? Cette compétence, effectivement, s'acquiert dès la Maîtrise.

Dans les domaines en ébullition (internet notamment), devient expert celui qui a lu 3 livres de plus que les autres. Dans le domaine des réseaux sociaux, des soi-disants experts n'ont probablement lu que quelques livres de plus que son client et suivent un ou deux bons mots clefs sur Twitter. À ne pas mélanger avec charlatan. Dans un monde informationnel en expansion, ces petites avances peuvent devenir des gouffres infranchissables en quelques années. L'expertise se métamorphose. Il faudra y revenir.

Et vous, qu'en pensez-vous?

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