La Philosophie à Paris

225. La transgression de la limite et l’attirance vers le Dehors.

14 Février 2013, 21:32pm

Publié par Anthony Le Cazals

Foucault en tant qu’il pense la transgression, dissocie la théorie de la pratique. On retrouve cela par exemple dans la théorie de la pratique politique et la théorie de la vie sexuelle. Foucault est, comme Kant, un penseur précritique, un penseur qui doit passer par la crise. L’exemple même de la coupure entre théorie et pratique est donné par une intervention du Groupe Information Prison que pilotait Foucault et qui est plus ou moins  à l’origine de mouvements protestataires pour améliorer les conditions de détention au sein de l’institution pénitentiaire : Nous étions arrivés avec nos questions sur le froid et la faim, et les détenus nous ont répondu par d'autres, celles-là même qui sont aujourd'hui au cœur des révoltes et des revendications. les conditions de travail, la protection juridique des détenus à l'intérieur des prisons, le droit à l'information, la sortie et la suppression du casier judiciaire   — Le Nouvel Observateur, 17 janvier 1972, Les prisons de Plaven  FcDE1_40. Que la théorie guide le philosophe dans son éthique, Foucault le pense puisque, pour lui, aucun individu n’est irremplaçable au sein d’un travail théorique. Ce que j’ai dit, n’importe qui pourrait le dire à ma place. C’est en ce sens que je suis parfaitement inutile. Son utilité, Foucault la trouve dans l’influence de sa parole et de ses écrits mais aussi dans le trouble qu’il a suscité. Ce trouble dépasse la simple analyse des discours à laquelle il se vouait. Que le trouble produit par la philosophie soit contingent, cela tient aux usages et aux définitions qui se trouvent renouvelés — comme nous allons le voir avec les termes archive et savoir. Foucault les conçoit non comme des ensembles ou des registres, mais comme des dispositifs, autrement dit des conditions de possibilité :

 

Archives. — J’appellerai archive, non pas la totalité des textes qui ont été conservés par une civilisation, ni l’ensemble des traces qu’on a pu sauver de son désastre, mais le jeu des règles qui détermine dans une culture l’apparition et la disparition des énoncés, leur rémanence et leur effacement, leur existence paradoxale d’événements et de choses FcDE1_708.

 

Foucault souligne « événements et choses », je soulignerais le qualificatif « paradoxale », elle est paradoxale en tant qu’elle nie la distinction des mots et des choses. L’archive est un dispositif plus qu’un registre. De même je vous retranscris ici, l’usage que Foucault fait du terme savoir, pour lui le savoir n’est pas l’ensemble des connaissances mais le « socle » à partir duquel les connaissances sont possibles, on a peut-être cherché à y voir le pédagogique « socle commun de connaissance » mais l’extrait, qui suit, éclaire :

 

Savoirs. — Dans une société, les connaissances, les idées philosophiques, les opinions de tous les jours, mais aussi les institutions, les pratiques commerciales et policières, les mœurs, tout renvoie à un certain savoir implicite propre à cette société. Ce savoir est profondément différent des connaissances que l'on peut trouver dans les livres scientifiques, les théories philosophiques, les justifications religieuses, mais c'est lui qui rend possible à un moment donné l'apparition d'une théorie, d'une opinion, d'une pratique. … et c'est ce savoir-là que j’ai voulu interroger, comme condition de possibilité des connaissances, des institutions et des pratiques FcDE1_498.

 

A un moment donné, lors d’un changement de paradigme, une rupture advient. Elle opère une substitution des valeurs et nous fait passer d’une strate d’archive à une autre, d’un socle de savoir à un autre. Cette substitution procède d’un délire avec toujours présentes, la transgression et l’attirance pour ce qui est imprévisible. Longtemps les philosophes se sont tenus à l’abri dans leurs théories et leurs visions en découpant le « réel » suivant des mots. Il ne s’agissait pas pour eux de tendre vers l’audace ; il ne s’agissait pas non plus d’exercer de nouvelles façons de penser de plain-pied avec l’incertain, qu’on l’appelle contingence ou destin. C’est cela qu’impulse le « Dehors » des philosophes 225, l’activité, mais c’est aussi à cela qu’ils se refusent, préférant souvent le doux repli de l’institution, comme si d’autres accomplissements n’étaient pas envisageables. Le tirage au sort et son contrôle 819 sont une tout autre institution, tel un service civil d’un an pour tout jeune secondé par ses aînés qui le contrôleraient. Voici un exemple, d’institution hétérogène — autre que celles prédéterminées — qui met face à son propre courage et lie tout spécialement à l’éducation par les livres et non l’instruction par la classe. Le « Dehors » comme force de pression et d’appel est ce pouvoir qui attend quelque chose de vous et que vous retournez ou non suivant votre force en un destin, une puissance : l’important ce n’est pas le crime c’est savoir ce que vous en faites. Mais le « Dehors », si l’on rompt avec l’intériorisation et l’individuation, est création et non une figure attendue du prophète, du saint ou du martyr. Le Dehors est aussi ce qui ne préexiste pas, comme la constellation affective d’une époque 533. Elle le résultat d’une dépersonnalisation assumée c’est-à-dire d’un détachement par rapport à la symbolique et d’une négligence par rapport aux représentations d’une époque donnée. Ce « décodage » fait rencontrer des embûches de ceux qui sortent des normes et que Foucault défendait en tant qu’anormaux : au-delà des fous et des homosexuels, on pourra penser aux Asperger 419, aux « divergents 916 », aux « négligents 936 » et aux gauchers bègues 916. Mais ces anormaux peuvent s’accomplir dans leur non-conformisme s’il passe par un processus de résilience 326c/627/715.

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