La Philosophie à Paris

416. La détresse de l’esprit chez Spinoza.

15 Février 2013, 00:56am

Publié par Anthony Le Cazals

L'homme qui est conduit par la raison est plus libre dans la cité, où il vit selon la loi commune, que dans la solitude,  où il obéit à lui seul. Spinoza SzE°IV,73.

 

Il est difficile de ne pas voir dans cette citation, toute la détresse du juif excomunié, lequel se réalise dans le mariage. Cette détresse Nietzsche l’a confirmée de son côté NzGS°349. Pour Spinoza, la volonté et l’intellect reviennent au même. Il n’en demeure par moins un penseur qui échappe au basculement opéré par Galilée en ce qu’il oppose encore le mouvement et le repos SzE°III,2 421-423, au lieu de penser que le mouvement comme état qui rencontre de l’inertie, il le pense comme interaction : l’accélération et le repos d’un corps proviennent toujours d’un autre corps. On ne parle plus à vrai dire de mouvement et de repos, mais d’accélération et de ralentissement. Le repos n’est qu’un atermoiement de la pensée, on  reporte au lendemain (procrastination). Avant d’aborder la dimension qui échappe à notre conscience 417 et qui a été longtemps recouverte du terme ingénieux d’esprit, relisons l'Ethique SzE du point de vue de l’étendue en notant qu’avec l’esprit nous n’avons affaire ni à l’ingenium cartésien, ni au spiritus chrétien mais au mens conscia. Le point de vue du corps est une manière de se libérer du spirituel et du retour que fait l’idéalisme sur ce qui agit et qui en somme nous détourne des forces en présence par les œillères de la réflexion. Sur quoi s’est attardé la vision idéaliste ? Sur tout ce qu’elle pouvait fixer et maîtriser dans sa moindre action, je pense au mépris du corps. Mépris qui ne porte pas seulement sur soi mais aussi sur les autres comme on le retrouve dans l’expression « ce qui peut être agi » à savoir la « matière » 431d. Pour se libérer de l’esprit comme manière dominante de penser  visant les essences et leur contemplation, il faut se mettre en mouvement, pour le libérer de la métaphysique et désentraver le corps par ses envies, la personnalité qu’il amène.  La métaphysique (homonomie) sous-tend toujours un axe hiérarchique supérieur-inférieur, pour de la pensée abstraite en ce qu’elle privilégie toujours la vision, la moindre action et met de côté le travail de l’oisif et du forçat. La libération vis-à-vis de l'esprit est libération vis-à-vis d’une certaine image de la pensée, vis-à-vis du spirituel opposé au matériel, vis-à-vis de l'image d'un esprit gouvernant le corps qui agit, d'une élite gouvernant la masse qui obéit, c'est toute la critique que Spinoza fait de Descartes et de l'empire dans l'empire, de l'emprise de l'esprit sur le corps SzE°II,préface et SzE°II,2,sc.. Certes l’Esprit chez Spinoza n’a plus d’empire sur le corps comme le prétendait Platon, mais il demeure que l’esprit a cette idée du corps. Esprit et idées vont de pair. Si l’esprit ne détermine pas le corps à agir et si le corps ne détermine pas l’esprit à penser par idées : il n’y a pas pour autant de « parallélisme », car l’esprit n’est en premier qu’une appréhension de la puissance d’agir, une idée posée sur le corps et non une pensée forgée dans l’action. On en arrive même à des incongruités de la sorte : « quand le corps réside dans le sommeil, l’esprit en même temps que lui demeure endormi, et n’a pas le pouvoir de penser comme dans la veille ». Ce qu’il y avait de parallélisme selon une histoire de la philosophie matérialiste toute française se rompt sur le rivage des « essences divines ». Spinoza invite à les contempler au travers d’un esprit qui fait abstraction du corps « sous l’aspect de l’éternité » SzE°V,29, « sous l’aspect de la durée de l’esprit sans le corps » SzE°V. Sub specie Spinozae dira Nietzsche pour se moquer NzA°17. La jalousie féroce de l’esprit envers le corps et ses instincts affleure chez Spinoza avec le somnambulisme. Celui-ci fait sauter le « parallélisme » de la tradition hisoriographique française : Les somnambules, dans leurs rêves, font un très grand nombre de choses qu'ils n'oseraient faire dans la veille ; ce qui montre que le corps lui-même, par les seules lois de la nature, peut bien des choses qui font l'admiration de son Esprit. Ensuite personne ne sait de quelle façon, ou par quels moyens, l'Esprit meut le Corps, ni combien de degrés de mouvement, il peut attribuer au corps SzE°III,2sc. Dans cette simple citation, apparaissent déjà les limites de l’esprit. C’est bien pour cela que Nietzsche se permet de critiquer Spinoza et toutes les formes d’idéalisme : aucun ne s’est donné les moyens d’agir. C’est un salut d’immortalité qui est recherché par l’Esprit et le somnambule trahit le pacte de l’Esprit et des « essences divines » et immortelles. L’esprit voit ses actions naître de prétendues idées adéquatement engagées dans les circonstances, c’est dire que comme avec les somnambules ce sont les circonstances qui engagent le corps. Mais ramenées aux idées, les actions de l’esprit sont entre autres d’imaginer ce qui peut augmenter la puissance d’action du corps, mais en aucun cas de rêver ou de se souvenir. Rêver et se souvenir sont des capacités qui ne relèvent pas de la conscience, du communicable.

 

L'esprit, ou ce qui est conscient 417, n'a pas le libre pouvoir de se souvenir ou d'oublier quelque chose cf. SzE°III,2,Sc.. L'Esprit ou la conscience n'a que le pouvoir de dire ou de taire ce dont nous nous souvenons, ce dont le corps dans ses incorporations, dans ses événements, comme dans ses habitudes, se souvient. On retrouve là les mémoires sémantique, épisodique et réflexe 419. Et si du point de vue du parallélisme entre voir et parler, typique de tous les métaphysiciens, l’action et plus encore l’exercer étaient absents ? L'Esprit et la conscience n’ont jamais été une manière de penser comme l’exprime Heidegger dans Qu’appelle-t-on penser ? Mais ils ont été du point de vue de l’action. un outil de domination quant à l’Esprit et un outil d’adaptation de ce même Esprit face au danger. Cette conscience qui accompagne la procession et l’impulsion des idées est donc marquée depuis Plotin par un certain idéalisme. C’est une certaine appréhension de ce qui advient qui se marque par un atermoiement et un engourdissement du corps, plutôt par que la conflagration et le condensat de plusieurs corps s'efforçant dans la même visée de libérer de nouvelles intensités et de nouvelles audaces. Ce que l’esprit ne veut exprimer — d’où sortirait l’inconscient du névrosé    418 — le corps l’exprime avec hystérie, par exemple quand il est  comprimé par la morale. Et si on ne pensait plus en termes d'attributs ou de « substance qualifiée », c'est-à-dire selon ce que l'intellect perçoit de ce qui est en soi et se conçoit par soi (substance) comme constituant son essence SzE°II,déf.3-4. Et s'il n'y avait pas d'essence, c'est-à-dire d'idée abstraite de corps qui n'enveloppe pas leur existence. C'est alors le pari fou de reprendre l'éthique du point de vue du corps, du point de vue de l' événement 643 comme Onfray peut en faire le constat purement corporel ceci touchant directement à l'éternité, c'est-à-dire la seconde partie du livre V sur les voies de la libération mais aussi à la mécompréhension que l'on peut avoir du corps quant à ses potentialités. Quelque chose de purement énergétique s'est produit, quelque chose qui touchait chez Spinoza à la santé du corps, qu'il devait vivre comme malade. Toute la thématique du salut de l’âme peut être travestie aujourd’hui en santé de l’énergie qui nous anime. Avec salud de alma l’espagnol associa les deux, bien que le latin animae salus ne soit pas la santé, valetudo. Quand il écrivait l'Éthique, particulièrement après la pause que constitua l’écriture du Traité Théologico-Politique SzTT dans l’écriture de l’Ethique, cet arrêt lui fait reprendre l’éthique du point de vue de l’Esprit pour compenser le corps malade. Le corps est alors à envisager comme tout ce qui est non-conscient, ce que Deleuze et Guattari reprendront sous l’expression de machines désirantes. On peut donc poser la conjecture d’une Ethique écrite du point de vue de l’Etendue et non plus de la Pensée — ou devrait-on dire de l’Esprit consciencieux et scrupuleux. Cela n’enlève rien à l’idéalisme car on réembraye sur le dualisme cartésien. Les écrits de Spinoza sur La métaphysique de Descartes en disent long : on peut y lire que la substance a plus de réalité que les modes.

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C
Jewish people never do inter cast marriage. Whatever they do, they never leave their society and people. That is why there is a proverb about them that, their blood was still the purest from other societies and religion of human kind.
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