La Philosophie à Paris

538. Les registres des projections de l’imagination.

15 Février 2013, 17:36pm

Publié par Anthony Le Cazals

On se trouve au cœur de la création. Vinci est le premier pour assurer sa puissance inventive à dissocier la fantaisie de sa peinture de la poésie un peu lyrique des versificateurs. C’est que sa fantaisie donne de la puissance  à la connaissance. La création comme puissance créatrice imaginative, comprenez l’institution immotivée et spontanée de ce qui nous entoure en tant que culture se fait sous trois registres : le chimérique, le fantastique, le poétique. Le chimérique est immanent, c’est-à-dire que le trajet incertain de création contient son effet. Le poétique, par ses aspects lyriques est transcendant. La fantaisie plus prosaïque, n’est ni l’un ni l’autre. Si philosopher c’est douter, comme ils disent, à plus forte raison niaiser et fantastiquer, comme je fais, doit être douter, nous dit Montaigne MonLE°III_259. Le chimérique c’est le trajet d’idéation chez Badiou 2009-2010 ou le processus de dramatisation chez Deleuze DzDR. Le poétique, ce sont les vagues successives du romantisme, qui s’est éteint à l’âge des génocides. La fantaisie, que nous n’attendions pas, c’est pour Vinci la  peinture. Même si elle comporte une part importante de fantaisie, elle est plus proche de la réalité que la poésie perdue dans ses chimères. Ainsi se joue un jeu de tension entre l’idéation Badiou, la fantaisie Vinci, la poésie Goethe. La première crée des concepts, la seconde des images visuelles, graphiques et scéniques, la dernière des compositions de vers. Le fantastique est l’investissement imaginaire qui transforme la surface des choses, ce qui depuis Nietzsche n’enlève en rien à l’aspect philosophique : Toute philosophie est une philosophie de surface : c'est un jugement d'ermite NzBM°289. Vinci fait reposer sur lui sa peinture et son ingénierie, c’est peut-être pourquoi on retrouve aussi des êtres chimériques comme des dragons, sur ses planches de croquis. C’est fantastique ! criera celui qui est saisi par la jubilation de la transmutation, car celle-ci touche la dose sensible des nerfs aussi bien que la peau dans son « apparence ». Ce qui tient de la fantastique* se lit sur le visage puisque, passé un certain âge, certains ne portent-ils pas leur visage comme un crime ? Le Dionysos de Nietzsche n’est pas un personnage conceptuel mais le personnage fantastique par excellence. On ne peut pas dissocier le chimérique de l’idéal comme le fait Kant, alors même que Kant définit l’idéal comme ce qui est fin car les philosophes analytiques ont prouvé qu’à être trop précis, on en devient niais et chimérique. « Le courage c’est d’être précis » pensent-ils. La précision ne peut s’obtenir que par nuance, que par l’exposition de la différence de plus en plus ténue entre les registres. Cette nuance n’est point à sauver, elle se retrouve chaque fois que l’on veut affiner son goût et non ses idées. Penser avec le nez et les papilles, puis faire naître l’envie dans les lèvres, ce petit picotement n’a rien de chimérique, c’est proprement fantastique. C’est par le nez que s’aiguillait Nietzsche, c’est par le picotement des lèvres, amorce de désir et d’amour, que l’on s’oriente vers l’investissement d’existence qui a le plus de débouchés. Est-ce étrange si les débouchés naissent à l’extrémité des lèvres ? La chose paraîtra rugueuse et débile à l’esprit grossier, grand bien lui fasse, car il a besoin d’être conforté dans ses convictions. Ainsi en a voulu l’éternel retour, conforter chacun dans son propre avancement, dans ses propres envies de répétition, ne serait-ce que de la répétition de l’inattendu. Ce n’est déjà plus à lui que l’on s’adresse, mais à la prochaine génération. La question est toujours comment on éduque ses nerfs et comment ainsi on passe le cap des grandes tensions. La philosophie n’aura été que cela, c’est pourquoi on voit poindre à de multiples endroits la question de l’angoisse. Certains  philosophes ont voulu faire de l’angoisse un passage ordalique et une « épreuve de vérité », bref le critère sous-jacent de leur philosophie. C’est pourtant quand l’angoisse est atteinte, que l’on perçoit la limite des nerfs et la nécessité d’investir le langage par un jargon pour se protéger de ce qui entoure, le commun devenu angoissant. Avec leur « tétrasyllabie » avancée, cette maladie jargonneuse du langage, ce n’est pas un hasard si chez tous les angoissés modernes, l’amitié est chimérique et non pas fantastique. À être trop précis alors qu’on pensait atteindre du magnifique et du sublime, comprenez du solide et du certain, on a atteint du chimérique, mais rien de fantastique. C’est sur ce travers qu’a embrayé le poétique, comprenez le romantique. Le romanisch sensualiste KtRT_94 deviendra le romantisch allemand puis français. Le romantique investira toute la poésie. Si Cervantès investissait le chimérique, Rabelais investit le fantastique. Mais là rien de nouveau puisque Kant déjà posait la distinction chimärisch KtRT_86/134, phantastich KtRT_94, dicheterisch KtRT_195 KtEMT_60. 


On se trouve dès lors dans la concurrence entre expressionisme et impressionnisme. L’expressionisme suivi du symbolisme, du futurisme Maïakovski et du suprématisme Malevitch vise à imposer ses vues au travers d’affects. On ira même jusqu’à retrouver cette dimension chimérique dans le cosmisme né après la chute du communisme soviétique qui a voulu prolonger l’idéal communiste dans l’espace. Aujourd’hui nous sommes passés à l’inesthétisme. Comme le souligne Virilio « autant j’ai compris le passage de l’impressionnisme à l’expressionnisme qui vise à obtenir la plus grande émotion possible chez le spectateur ou auditeur, autant, lorsque nous avons assisté aux productions des actionnistes viennois, j’ai considéré que le processus n’était plus possible, plus tolérable. J’ai compris le Guernica de Picasso, un chef d’œuvre, ou les productions d’Otto Dix. Mais le néo-expressionnisme s’est prolongé pour devenir un académisme du dégoût ». Un inesthétisme, issu de l’esthétisme bourgeois et kantien. Si l’esthétique est l’étude de l'évolution des formes et des symboles dans les dimensions transcendantales (espace et temps) et suivant le critère de la beauté, on peut davantage être sensible aux jubilations et aux enthousiasmes métaboliques sans pour autant tomber dans l’inesthétique. En fait sous-jacent à ce dépassement, il y a un « anesthétisme* » qui n’a jamais rejoint les catégories esthétiques et qui se base davantage sur le métabolisme dans sa forme productive ou expressive et de l’impressionnisme dans sa forme réceptive et intime 530. En cela ce n’est ni une chimère du conceptualisme, ni une poésie du romantisme ou du symbolisme. Simplement un grain de folie, un coup de chance, une marque de la connaissance. Connaissance de la couleur à travers Cézanne, connaissance de la nature à travers Van Gogh. Fantaisie chromatique.

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