La Philosophie à Paris

622. Sortis des nombres, des problèmes d’interprétation.

15 Février 2013, 23:44pm

Publié par Anthony Le Cazals

Une fois sortis des nombres, voyons en quoi la dialectique de Badiou sous les termes de forçage et d’axiomatique produit des problèmes d’interprétation. Nous sortons même au fil des ouvrages-clés de la transposition mathématique qui ne serait qu’axiomatique et sans définition, comme nous le soulignons ici : « dans Logiques des mondes, l’appareillage logico-mathématique est autosuffisant : tout est défini et démontré » BdLM_564. La part ontologique (dianoia) de la dialectique ne peut pas parvenir à réduire tout le langage en logique mathématique et en finalité, là n’est pas son but : la visée de la métaontologie est morale. On peut alors difficilement douter de la prêtrise de Badiou. Qui douterait que celui-ci interprète l’esprit, plus qu’il n’expérimente la lettre, devrait tout de même noter la récurrence des expressions comme quand Deleuze pose que … il faut l’entendre ainsi BdDE_28il faudra plutôt dire BdDE_26, Deleuze dira plutôt … Deleuze dira plutôt BdDE_71. Tout est affaire de réécriture : comme l’écrit Deleuze BdDE_63 ou comme le réécrit Badiou devrait-on dire. Tout philosophe qui parle d’une autre philosophe, en bonne idiosyncrasie, parle avant tout de lui-même, met en avant son propre point de vue et nous n’y échappons pas. Mais ces problèmes d’interprétations ressurgissent souvent chez Badiou. Par exemple avec l’ennemi Nietzsche, Badiou traduit un de ses commentaires portés sur Platon ainsi : «  Pour peu qu’on soit médecin, on peut même se demander qui a pu infecter de cette-maladie-Platon, … la plus belle plante humaine de l’Antiquité » au lieu de « … qui a pu infecter Platon, la plus belle plante humaine de cette maladie ». Se voyant trop vite mis en joue, Badiou se montre excessif et impatient, il exprime, par là, « une noble gaminerie et une gaucherie de débutant » dans l’interprétation comme le suggère Longo reprenant Nietzsche.

 

Il en est de même de la proposition emblématique de Badiou : « Le même, lui, est à la fois pensée et être » BdC_87, BdC_250, BdC_279, BdDE_117, BdLM_109, BdOT_49, BdOT_96. Ce n’est qu’une traduction approximative de Jean Beaufret, qui fait apparaître des mots qui n’existaient pas dans le fragment original grec, mais cela arrangeait bien Badiou. C’est la preuve de l’importance de la traduction dans les mutations et les libertés qu’on prend avec le texte et donc de la fantaisie que cela offre. C’est par ce genre d’arrangement que l’on construit tout un trajet abstrait fait d’équivoques. C’est la preuve qu’on vit bien mieux en étant moins scrupuleux. C’est là aussi qu’affleure la stupeur de Badiou face à Nietzsche. Elle n’est qu’une réaction couvée pour tout ce qui ne touche pas à sa mathématique. Pour lancer une carrière, il suffit d’une phrase, de trois mots même : un  « à la fois » qui rendrait indiscernable dans le « Même » la pensée et l’être. Travers des pensées dominantes, majoritaires et fondées dirait Deleuze : « vérité » n’est jamais que le nom de ce par quoi s’apparient, dans un processus unique, l’être et la pensée BdOT_101.

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