La Philosophie à Paris

735 La fin de la prématurité physiologique : la fécondation n’est pas la naissance.

21 Février 2013, 23:22pm

Publié par Anthony Le Cazals

Les nouveau-nés humains dont la durée de gestation est écourtée en comparaison avec les éléphants — à cause de la taille critique de la tête par rapport au bassin — pourront dépasser ce que l’on qualifie volontiers de « prématurité physiologique » (Henri Laborit) ou « anthropologique » (Jacques Poulain). C’est-à-dire que les nouveau-nés se considèrent comme des ensembles solipsistes, des « moi-tout ». Jusque là ce sont de grands voyants. Ce n’est que la coordination des sens et des membres au travers de l’action qui les font sortir de ce solipsisme. On pourrait oser un parallèle avec l’incapacité motrice des grands voyants détachés de la vie active que sont les philosophes, qui les pousse à créer des systèmes philosophiques. Pour eux, au fond , avoir en vue quelque chose, c’est le faire (horan = dran pour Platon). Mais on ne connaît pas vraiment, sinon par des conjectures plus ou moins hasardeuses, quelles sont dans les détails les voies de communication et les mécanismes par lesquels la symbiose mère-fœtus agit sur l’affectivité et, plus généralement, sur la personnalité du futur enfant AtlUA. Les enfants nés dans des utérus semi-artificiels, dans des machines, auront certainement une affectivité modifiée mais la possibilité de demeurer moins longtemps dans un état de prostration face au monde du fait d’une capacité motrice plus importante à la naissance. On peut même penser que l’image du ventre de la mère comme « paradis perdu » ou « antre originel » est avant tout le rappel idéalisé d’un état solipsiste de l’enfance. Le nouveau-né s’éprouve-t-il comme grand voyant ? C’est dans les 10-12 premiers mois que le nouveau-né va se trouver bombardé par des stimuli variés en quittant le milieu très appauvri de la poche des eaux dans laquelle il a grandi jusque-là … Du fait de sa prématurité physiologique, le nouveau-né sera limité dans ses actions sur le monde qui l’entoure. Il restera longtemps enfermé dans son « moi-tout » LabIA_51. Mais cette prématurité est motrice plus qu’affective puisque comme le souligne Boris Cyrulnik : Depuis quelques années, nos capteurs techniques, comme l'échographie, nous ont permis d'observer comment, dès les premières semaines de la grossesse, les bébés personnalisent leur réponse comportementale CyrVC_50. Déjà, pour Freud la naissance est un événement moins traumatique que l’on ne croit : la vie intra-utérine et la première enfance sont beaucoup plus comprises dans une connexion de continuité que ne le ferait croire la césure impressionnante de l'acte de naissance Freud en 1926  in Inhibition, symptôme et angoisse. La fécondation n’est pas la naissance. La « césure » de la naissance est davantage inscrite dans nos représentations sociales par les pleurs du bébé comme aboutissement des souffrances de la mère. Mais nos lois le conçoivent autrement. Ces dernières dissocient d’une part l’être humain qui apparaît dès la fécondation et d’autre part la personne juridique qui n’existe pas avant la naissance — comme le fait l’article 16 du code civil.


Précision. Le développement intra-utérin des canaux de communication est maintenant bien établi (J.-P. Lecanuet, « L'éveil des sens » Science et Vie, n°190, mars 1995). Le toucher constitue le canal primordial dès la septième semaine. Le goût et l'odorat, dès la onzième semaine, fonctionnent comme un seul sens quand le bébé déglutit un liquide amniotique parfumé par ce que mange ou respire la mère (B. Schaal, 1987 in Ethologie et naissance, n°109, mai 1985). Mais dès la vingt-quatrième semaine, le son provoque une vibration du corps de la mère et vient caresser la tête du bébé (B. Cyrulnik, sous le signe du lien). L'enfant y réagit souvent par un sursaut, une accélération du rythme cardiaque ou un changement de posture CyrVC_51.

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