La Philosophie à Paris

828. La bataille entre majorité et minorité ?

23 Février 2013, 23:23pm

Publié par Anthony Le Cazals

Il n’y a de justice que celle qui tranche, qu’elle soit jugements de cour ou coups de sabre, mais plutôt que de tenter des procès et d’en appeler à des avocats — parfois des intercesseurs et défenseurs de la vie — ne peut-on pas envisager une justice martiale, qui ne soit pas celle de la cour mais du champ de bataille ? Fuir le jugement et combattre son arraisonnement, c’est passer à un régime de cruauté et de combat : « La justice ne veut rien de toi, elle te prend lorsque tu viens et te laisse quand tu t’en vas… ». Le système du jugement — philosophie dogmatique — et le système des affects — philosophies de la Nature et de la création — se sont substitués pendant deux mille cinq cents ans au monde de l’énergie ambiante, que Goethe nomme démonique, Nietzsche dionysiaque et les Japonais ki 832b. Cette proximité avec la source d’énergie met fin au Dieu transcendant qui juge et au Dieu immanent qui crée en lui-même, connu comme Nature naturante. Parler de « Nature », c’est manquer la dimension propre à la Terre, comme nous l’avons déjà évoquée 433/822. Reste cette affectivité primordiale ou solaire, cette énergie ambiante terrible en laquelle Tesla voyait une énergie libre et Nietzsche un semi-dieu, Dionysos.


Mais combien d’esprit de vengeance avons-nous avalé sous la forme de l’être ou de l’événement, comme si celui-ci remplaçait la bataille, en faisait le débriefing : « Dans tous mes livres j’ai cherché la nature de l’événement, c’est un concept philosophique, le seul capable de destituer le verbe être et l’attribut » DzP_194. N’y a-t-il pas entre la majorité et les devenirs minoritaires une voie bien différente qui sorte de ces systèmes, Une minorité, ce n’est pas exactement un devenir, un processus cf. DzP_235. Là aussi une autre perspective s’ouvre sur le mouvement. Il n’y a pas que le style comme « mouvement du concept », on peut voir le mouvement comme un état et non comme un processus dont on sait qu’il devient évanescent. Non l’état peut-être l’état de guerre, l’état de mouvement et non cette dimension conservatrice qu’est l’État de perpétuation fait d’institutions, de fondations — qui n’ont plus rien à voir avec la mise en place d’expéditions antiques qui préparaient un état de guerre. Nous pouvons oser l’analogie jusqu’à faire de ce dispositif énergétique, celui d’un transistor électronique ou spintronique 323app et noter que les intercesseurs, ceux qui intercèdent en notre faveur, sont le courant faible qui permet de faire sauter la résistance et de faire passer le courant plus fort de la création. Quand la diode est électroluminescente, les choses s’éclairent et deviennent « lumineuses ».


La majorité ne s’oppose pas à la minorité. C’est plus complexe que cela et Deleuze parfois l’a mal explicité. La majorité c’est l’étalon ou le modèle pour les personnes animées par de grandes idées creuses. Les majoritaires sont ceux qui se réclament de la majorité. Dans le même registre, le pouvoir ne s’exerce qu’avec le consentement de ceux sur lesquels il se manifeste. Viennent ensuite les devenirs-minoritaires, les majoritaires cherchant à leur couper les lignes de fuite. Les majoritaires appartiennent aux systèmes fermés et les devenirs-minoritaires sont ceux qui cherchent à les ouvirir sur les minorités. Les minorités ne sont en rien les devenirs-minoritaires, autrement dit les devenirs de la minorité : Les juifs, les tziganes, etc., peuvent former des minorités dans telles ou telles conditions ; ce n’est pas encore suffisant pour en faire des devenirs DzMP_356. Mais pour Deleuze, ce ne sont jamais les minorités qui s’expriment, ce sont toujours des devenirs-minoritaires. Les devenirs-minoritaires permettent la résolution d’un calcul ou conception des problèmes concernant les ensembles non dénombrables, contre une axiomatique des ensembles dénombrables. Or ce calcul peut avoir ses compositions, ses organisations, même ses centralisations, il ne passe pas par la voie des États ni par le processus de l’axiomatique, mais par un devenir minoritaireDzMP_588. Encore une fois la minorité est un état du mouvement. Depuis que Galilée l’a mis en avant pour le mouvement, Un état ne tient ni de l’être qui est une constante ni du devenir qui en est sa variable. Deleuze pensait que les devenirs-minoritaires, c’est sortir de la philosophie avec la philosophie, c’est fuir le système en créant un système ouvert, mais on ne sort pas de l’idéalisme qui devient empirique. Kenneth White exprimera le point de vue autonome d’une minorité face à l’axiomatique machiste du devenir-femme de l’étalon ou du devenir minoritaire de la majorité. Ainsi il y a un abus majoritaire chez Deleuze quand il parle des minorités. Les minorités sont des autonomies, des états non-représentatifs (ou quantiques), des états « indénombrables » comme le dit Deleuze. Ceci est d’autant plus paradoxal que les minorités apparaissent ou plutôt sont prises en compte au moment où ce qui est compté, mesuré et enregistré, c’est le dénombrable, c’est-à-dire ce qui tient de la majorité : nous avons vu à plusieurs reprises que « les minorités » ne se définissent pas nécessairement par le petit nombre, mais par le devenir ou la flottaison, c’est-à-dire par l’écart qui les sépare de tel ou tel axiome constituant une majorité redondante DzMP_586. Notre âge est bien celui des autonomies, celui où règne une devise majoritaire qui sert d’étalon alors qu’elle n’est plus indexée sur leur or et que des monnaies locales viennent se greffer dessus et court-circuiter la concurrence. On peut dire que si des blocs vont se constituer — à la manière des trois entités continentales de 1984 de Georges Orwell, il y a aussi entre ce qui est mineur et non dénombrable par la majorité, la clé de la grande politique comme combat entre quelques personnes, entre minorités qui remplaceraient le combat entre les peuples.

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