La Philosophie à Paris

514. Une autre approche des systèmes métaphysiques : stupeur et clameur de l’« être ».

15 Février 2013, 15:53pm

Publié par Anthony Le Cazals

Remontons vers les instincts ou plutôt vers le vécu même si celui-ci se cache derrière des formulations métaphysiques. Il faut savoir éviter aujourd’hui les écueils et les ornières de la « Clameur de l'être » Dz et de la « Stupeur de l'être » Bd ; soit l’idéalisme empirique et l’idéalisme transcendantal ; le non-être du problématique d’une part et le non-être du négatif d’autre part. Quant à la conjonction des différents idéalismes, la palme revient à Descartes, qui, en fondateur de la philosophie moderne, comprend qu’il existe une double définition possible des idées : les idées acquises par l’expérience et les idées en général, tournées vers des essences ; soit les idées acquises qui, immanentes, admettent une régression à l’infini — telle l’idée de l’idée du corps chez Spinoza — et les idées innées qui, transcendantes, héritées, coiffées par le Bien, ne peuvent régresser mais que sont le modèle d’un simulacre, d’une apparition.


La clameur de l’être ou idéalisme empirique, c’est Tarde, Simondon, Deleuze sans Guattari, Gilles Châtelet, François Zourabichvili, etc. ... Les systèmes transcendantaux et transcendantaux-empiriques ou si vous préférez les systèmes de pensée clos et ouverts ne sont que des idéalismes qui investissent, pour les uns, les essences et, pour les autres, la nouveauté. On pourrait déconstruire les premiers par les seconds. Pour les premiers, « la vie » est négative et condamnable comme un pourrissement ou une corruption ; pour les seconds « la vie », sa plus infime manifestation, est problématique, comme un poussement* infime qu’il faut accompagner. Deleuze et ses disciples, dès qu’ils apercevaient le virtuel comme un « en-soi » et que leur vie actuelle était trop douloureuse, n‘ont pas hésité à rejoindre ce « virtuel en soi et plein de promesses » par le geste du suicide. Une fois que « sa propre vie apparaît sans issue » soit parce que l’on est malade (Deleuze et Châtelet), soit parce que la vie comme substance élevée à l’infini a été dissoute par la fréquentation de Badiou (Zourabichvili, Lapeyroux et encore Châtelet qui avait le Deleuze de Badiou comme livre de chevet). Badiou n’est point le responsable de cela, par contre pour avoir lu Platon, il sait qu’il a dépassé le maître quand Platon incitait ses adversaires au suicide. C’est là le double effet du dépeupleur 325 : il parvient à toucher tant l’imaginaire que la santé, parce qu’il a atteint l’intime dans son énergie même. Il ne dit pourtant pas ce qu’il fait mais admet que son interlocuteur par sa prétention assume cette prise de risques qui est l’inverse d’une prise de conscience. Ceci dit, sans mettre en cause personne mais sans se voiler la face quant à une situation de grande tension, il faut bien relever les conséquences de certaines fréquentations. Il apparaît que parfois, l’envie de rejoindre le virtuel — ce Dedans, cette mémoire absolue — a été trop forte et que la fréquentation d’un dépeupleur d’imaginaire est alors fatale. Deleuze s’est fait une idée si haute de « la vie » qu’elle a fini par ne pas correspondre à sa réalité, à sa « virtualité ». Implosion de celui qui enveloppe et se referme. L’insatisfaction qui peut suivre une prise de risque, Schopenhauer l’évoque sans détour SchMV. Il y a là, une tonalité stoïcienne qui communique avec ce que les métaphysiciens nomment « événement » pour trouver la suspension de ses souffrances, bref son « éternité ». Deleuze, dans ses plus grandes crises pulmonaires, se mettait à parler des stoïciens, de grâce de l’événement, de clameur de l’être et de la manière que ces derniers avaient d’envisager la mort — il était tuberculeux comme Camus et Orwell. Alors plutôt que de rejoindre la santé par un effort dès lors « impossible », il concevait la vie comme un épuisement (des « possibles ») et lent étouffement. Elle n’était pas à ses yeux une prise de risque, un amour du destin. Il y a, chez Deleuze, plus un masochisme qu’une guerre à la souffrance comme dans le bouddhisme NzA°20, il avait recours à la création comme salut éternel dans ces moments-là : il n’y a pas d’œuvre qui n’indique une issue à la vie DzP_196.


La stupeur de l’être ou idéalisme transcendantal, c’est toute la philosophie du jugement, Althusser, Badiou, tous les matérialistes autrement idéalistes. Ils font reposer leur système sur l’infini de la dette et l’immortalité de l’existence. Ce n’est là qu’une synthèse pour montrer comment les personnes prises de stupeur et d’étonnement dans leur jeunesse, à l’exemple  de Platon avec le suicide de Socrate ou de Badiou avec le meurtre commis par Althusser. Suivez mes vertus, disciples, je vous montrerai la voie de l’immortalité ! Et le système se perpétue cahin-caha. Peu de gens auront une vision d’ensemble de la pensée de Badiou et en arriveront au constat du « tout ça, pour ça ! ». Entre temps les deleuziens ou tous ceux qui procèdent selon un système ouvert à la nouveauté ou un idéalisme empirique, tomberont comme des mouches. Mais l’un comme l’autre sont des immanentistes ! Avec cette nuance que Badiou a un fort effet dissolvant et dépeupleur et parvient à réduire à néant par le Deux, les idées de Vie ou de Nature de ceux qui adhéreraient trop à son discours métaphysique. La stupeur de l'être chez Badiou a à voir avec le paradoxe de Zénon BdLM. Ce n’est pas seulement un étonnement, une stupeur face à la poussée libidinale et « rigolarde » de mai 68 — voir l’entretien de Badiou avec Frédéric Tadéi sur le film Les Chinois à Paris — c’est plus largement la posture face à tout événement, face à tout imprévisible. Pour mieux expliciter cette stupeur face à l'être, stupeur qui alors est l'événement 643 même, il faut comprendre Badiou. En rejetant toute extatique et toute réflexion, notre philosophe dogmatique ne peut pas en rester à Parménide et à Zénon. De là, il s’ensuit tout un trajet à l'envers qui fait symptôme de la capture métaphysique : c’est-à-dire l’indétermination ou la décadence. Le philosophe dogmatique fixe alors un idéal d’immortalité et dénonce tout processus comme fautif de commettre un écart : avoir en vue (horan) c'est faire (dran) pour Platon : agir serait fautif, vivre serait défaillir si on ne reconnaît pas la vie bonne. Ce n’est pas une manière de limiter sa puissance par réciprocité et solidarité pour autrui mais bien une manière de nier sa puissance, en ne la mettant pas à l’épreuve. Il ne faut pas chercher à vivre aux dépens d’autrui mais parmi les autres dans cette différence qui fait la richesse, la « noblesse du cœur 938 ». Ne pas vivre comme les autres mais parmi les autres nous dit l’autiste de haut niveau Daniel Tammet DamJB.


Le but de ce travail n’est pas d’empêcher que les choses se nouent autour de Badiou ou de Deleuze, ce serait naïf, mais de déconstruire la métaphysique tant de Badiou que de Deleuze et par là de faire que les choses se nouent à leur propos en un sens terrestre. Suggérer l’imposture de l’idéaliste-matérialiste. Plus largement, c’est faire comprendre que de Spinoza à Schopenhauer seulement deux cents ans se sont passés et que les systèmes n’ont pas composé, dès lors, la forme prédominante de la philosophie. Il n’y a là aucun méfait mais une manière négligente de trancher le nœud « borroméen » BdMP. À la fin des fins, ce ne sont là que différents rapports à l’imprévu, à l’« événement » : fidélité Bd et dignité Dz, mais on pourrait rajouter la provocation Nz des événements.

 

Illustration de la Dignité. ... être digne de ce qui arrive, … dégager quelque chose de gai et d’amoureux dans ce qui arrive, une lueur, une rencontre, un événement, une vitesse…  DzD_80, devenir digne de ce qui nous arrive, donc en vouloir et en dégager l’événement, devenir le fils de ses propres événements, et par là renaître, se refaire une naissance, rompre avec sa naissance de chair DzLS_175, devenir digne de l’événement, la philosophie n’a pas d’autre but DzQP_151.

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